Page:Rambert - Études littéraires, t1, 1890.djvu/428

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tiers aussi on se figure sous le nom d’Homère, au milieu de la foule des aëdes qui ont contribué à l’œuvre commune, un poëte d’un génie exceptionnel. On n’a pas tort, non plus. Il y a dans l’Odyssée et dans l’Iliade une puissance de poésie extraordinaire et qui ne s’explique pas sans un très grand poëte, peut-être plus d’un. Mais la perfection relative de ces antiques poëmes a une autre cause encore. Ils sont plus parfaits que ceux d’aujourd’hui, parce que le grand ouvrier de poésie, le souvenir, a eu le temps d’y mettre la main et d’en faire son œuvre. Les aëdes ont succédé aux aëdes, se transmettant de l’un à l’autre le trésor de la poésie nationale, et ce trésor s’est purifié par le simple fait que tout ce qui n’était pas dans le ton, tout ce qui ne méritait pas de subsister, est tombé peu à peu dans l’oubli. Les poètes actuels, qui composent dans le silence du cabinet et n’ont devant eux que quelques années d’activité féconde, sont de pauvres improvisateurs en comparaison de ce poëte multiple, de ce poëtenation qui, dans la Grèce antique, ne cessait de travailler sur le même fonds de traditions héroïques. L’Odyssée est le produit d’un travail séculaire de création et d’épuration combinées. Sur les pas de cette muse capricieuse, qui chante aujourd’hui pour se taire demain, passait et repassait la muse du souvenir, qui trie et choisit. Il y a du choix dans ces vieux poëmes, il y en a plus que dans tout ce que