Page:Ranc - Souvenirs-correspondance, 1831-1908.djvu/16

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nouvelle à M. le Procureur général Mangin, qui, pâle de rage, s’écria :

« S’il lui reste un souffle de vie, qu’on le porte à l’échafaud ! »

Au demeurant, fort honnête homme, ce procureur général.

Après le général Berton, personne ne fut plus exécuté place du Pilori. Les propriétaires se plaignaient avec raison que la guillotine enlevât de la valeur à leurs immeubles et ils obtinrent que les exécutions eussent lieu désormais hors de la ville. On guillotine maintenant près du pont Guillon. Il y a des noms prédestinés.

Cette pauvre petite place du Pilori, telle que je la vois apparaître dans mes souvenirs, était presque gaie. On y était comme à la campagne. Le soir et le matin, les bons bourgeois s’y promenaient en robe de chambre, le long d’une belle allée de tilleuls, dont les enfants s’amusaient à faire claquer sur la paume de la main les larges feuilles.

Les pères causaient politique et cancanaient un brin. Les gamins jouaient hors de la surveillance de leurs mères qui des fenêtres les suivaient de l’œil. Le soir, les élèves de l’école mutuelle, à la sortie de la classe, traversaient bruyamment la place, se poussant, se bousculant, et poussant des cris sauvages qui me remplissaient d’admiration.

Un jour, j’assistai à une belle bataille. Les élèves de l’école, les mutuels, comme on les appelait, s’étaient pris de querelle avec leurs voisins, les jeunes disciples des Frères Ignorantins. On s’était donné rendez-vous sur la place et les