Page:Ranc - Souvenirs-correspondance, 1831-1908.djvu/18

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coup. Cinquante ans plus tard, l’historien royaliste raconte dans ses Souvenirs que son ami Ranc lui dit un jour, en revenant de vacances : « Sais-tu que nous avons à Poitiers un évêque qui est un maître écrivain ? Ses lettres pastorales sont des chefs-d’œuvre de style. Je les lis toutes et j’en fais un profit… littéraire. J’ai mis dans ma malle, à ton intention, quelques-uns des discours et des mandements de M. Pie. »

Au Quartier latin, en effet, malgré l’abîme qui les séparait au point de vue politique, et plus tard dans la vie, Ranc et Edmond Biré restèrent amis.

Au lendemain de la mort de Ranc, le 25 août 1908, le Correspondant évoquait en ces termes le passé du grand républicain et rappelait les liens qui, dans sa prime jeunesse, l’attachaient fraternellement à Edmond Biré.


… Monsieur Ranc veillait et le dernier filet qu’il ait publié dans son journal L’Aurore était pour rappeler au Temps qu’il fallait voir le péril à droite et non à gauche. Le grand artisan de la Concentration républicaine n’avait pas tardé à reprendre son antienne. C’est lui, en effet, qui de la coulisse, dirigeait cette politique qui concentrait des intérêts de parti au lieu de concentrer les intérêts du pays. Essentiellement conspirateur, de l’aveu de ceux-là mêmes qui le connurent le mieux, jadis ami de Gambetta, devenu l’adversaire acharné de ses idées, M. Ranc vient de mourir, privant son parti d’une force occulte mais efficace. Il faut lui reconnaître ce mérite peu banal, qu’il est mort sans s’être enrichi et sans avoir été ministre : il y fallait quelque force d’âme. Mais, suprême ironie, lui qui, dans les querelles religieuses avait gardé le vocabulaire des vieux bousingots et qui ne parlait jamais que de la « Congrégation », de la « Jésuitière » et des « Messieurs prêtres », quand on a voulu le caractériser d’un mot, on l’a appelé le « Père Joseph », ou « l’éminence grise » du Bloc !

Dès sa jeunesse d’ailleurs, bien qu’en termes plus amènes, il avait été déjà l’adversaire « scolaire d’un des représentants les plus connus des idées conservatrices. Il était au Collège royal de Poitiers, le camarade d’Ernoul. Celui-ci était pensionnaire de l’externat de collégiens dirigé par