Page:Raoul - Trois satiriques latins, vol 1 Juvénal, 1842.djvu/71

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Peut rendre à son patron un client sans fortune ?
Lui ferons-nous valoir cette ardeur importune,
Qui, pour le saluer, prévenant le soleil,
Nous fait tout habitués courir à son réveil ?
Quel prix y mettrait-il, quand, plus agile encore,
Le tribun empressé lui-même, avant l’aurore,
Chez la veuve Albina devance le préteur ?
À peine elle s’éveille et déjà le licteur
De son maître inquiet remplissant le message,
À cette heureuse veuve a porté son hommage.
Ici des gens bien nés, des fils de magistrats
Clients d’un riche esclave, accompagnent ses pas ;
Faut-il nous étonner de cette ignominie,
Lorsque, pour palpiter trois fois sur Calvinie,
Cet esclave lui donne, avec profusion,
Plus d’or que n’en reçoit un chef de légion ?
Toi, que de Cyané la figure te plaise,
Tu passas, sans l’oser déranger de sa chaise.



Supposez le témoin le plus religieux,
Soit l’hôte révéré de la mère des dieux,
Soit Numa, soit celui qui de la flamme ardente,
Courut sur son autel sauver Pallas tremblante ;
Est-il riche en argent, en troupeaux, en guérets ?
A-t-il un train nombreux ? soupe-t-il à grands frais ?
Voilà les seuls garants qu’on veut de sa conduite.
La fortune d’abord, les mœurs viendront ensuite.
Les mœurs sont sans crédit en face de la loi,
Et ce n’est qu’aux écus que l’on ajoute foi.
En vain le pauvre atteste, en donnant sa parole,
Les dieux de Samothrace et ceux du capitole :
On croit toujours qu’il brave et la foudre et les dieux,
Les dieux, de son forfait spectateurs dédaigneux.
Que dis-je ? il est partout un objet de risée :
On rit, si son manteau, si sa toge est usée :
On rit, si son soulier ouvert et grimaçant