Page:Raoul - Trois satiriques latins, vol 1 Juvénal, 1842.djvu/95

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Le turbot annoncé passe avant le sénat.
Alors le Picentin : Prince, agréez l’hommage
D’un poisson par les dieux réservé pour votre âge,
Et que, débarrassé de tout autre fardeau,
Votre estomac sacré lui serve de tombeau.
Trop rare, trop exquis pour un foyer vulgaire,
Il n’était destiné qu’au maître de la terre,
Et du ciel aujourd’hui remplissant les décrets,
Il s’est jeté lui-même en mes heureux filets.
Quelle dérision ! le despote crédule
En conçoit cependant un orgueil ridicule.
D’un grand, par ses flatteurs au rang des dieux placé,
Quel si grossier encens fut jamais repoussé ?
Mais, pour un tel poisson, il faut un vase immense :
Où le trouver ? ce point mérite qu’on y pense.
Au nom de l’Empereur, les grands sont assemblés,
Les grands qu’il détestait, et qui, pâles, troublés,
Sur un front inquiet où se peint la contrainte,
D’une illustre amitié laissent percer la crainte.
A ces mots du Liburne : Entrez, il est assis :
Pégasus le premier, dévoré de soucis,
Arrive en rajustant, d’une main empressée,
Les plis de sa tunique à la hâte endossée.
Nouveau fermier de Rome, (et quel nom en effet
Convenait mieux alors à l’emploi de préfet ?)
Bien qu’en ces jours de sang, sa prudente indulgence
Crût devoir de Thémis désarmer la vengeance,
Il n’en était pas moins son plus solide appui,
Et nul autre ne fut plus intègre que lui.
Crispus le suit, Crispus dont la vieillesse aimable
Respire une douceur à ses discours semblable.
Quel ami plus utile à celui dont vingt rois
Et la terre et les mers reconnaissaient les lois,
S’il eût été permis, sous une telle peste,
Sous ce fléau, ce monstre au genre humain funeste,