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Juillet 1968

Rapport au Président de la République

En profitant de mes loisirs pour mettre noir sur blanc les souvenirs précis que je garde des journées de Mai, je suis surpris de ce qui vient tout naturellement sous ma plume. Si surpris que je me dispose à un nouvel inventaire de ma mémoire et des faits, pour être bien certain que je ne me trompe pas. Je vous ferai tenir, si vous le permettez, et dès qu’il sera rédigé, un résumé de l’ensemble dont la mise au point me demandera plus de temps. Mais, sans attendre, je voudrais vous faire part de trois conclusions à tirer des événements et dont je pense qu’elles sont importantes (Pour bien faire, il me faudra parfois un bref rappel des faits)
Le problème qui a été posé au Ministère de l’Intérieur n’était pas de venir à bout de ce qui avait été d’abord un immense chahut, trop longtemps toléré, et qui avait du coup, tourné à l’émeute violente. Il y dût suffi de l’emploi d’une faible partie de nos moyens. Mais il fallait rétablir l’ordre sans morts inutiles chez les jeunes. Le régime en eût été, autrement, marqué en France comme hors des frontières. C’est pourquoi j’avais donné l’ordre de tirer au cas où l’Élysée, Beauvau, Matignon, Grenelle etc… seraient attaqués, mais dans ce cas seulement.
Nous avons obtenu le premier résultat : pas de perte de vies humaines. Mais je suis convaincu que nous aurions très probablement atteint le second, rétablissement de l’ordre, si la réouverture – et du coup l’occupation par l’émeute – de la Sorbonne n’avait pas tout remis en question le 11 Mai. Cette brutale « desescalade » a très certainement été une erreur majeure. Elle a entraîné la grève générale. Puisque le Gouvernement, cependant maître du terrain, capitulait ainsi, il capitulerait également devant les grévistes. Elle a par ailleurs porté un coup sensible au moral des forces de l’ordre qui eurent l’impression d’être désavouées.