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LE RAISIN VERT

si tout va bien, nous prendrons des vacances. Oh ! je vous en prie, n’ayez pas cet air tragique. En voilà un malheur, de passer l’été à Paris ! Paris est une ville très saine, favorisée d’un climat tempéré. Qu’est-ce que vous diriez s’il vous fallait vivre à Hanoï ou à Djibouti ?

— Mon ami, répondit Isabelle, avec une palpitation menaçante de ses minces narines, je me propose de vous servir du phoque à tous vos repas. Et si vous trouvez que cette viande sent l’huile, dites-vous bien que les Esquimaux la tiennent pour une nourriture délectable.

— Je ne vois pas le rapport, répliqua sèchement Amédée. Faites-moi grâce de vos considérations culinaires. Nous ne sommes ni au pôle ni sous l’Équateur. Nous sommes à Paris et nous y resterons. De quoi vous plaignez-vous ? Vous êtes bien logée et le Bois est à nos portes.

Il se promenait à travers la salle à manger, sa tasse de café à la main. Les enfants, dans un coin, feuilletaient une livraison du Chasseur français où l’on voyait des bicyclettes, des filets à papillons et des planches en couleur, qui reproduisaient tous les modèles de mouches artificielles pour pêcher la truite. Tout cela ne faisait qu’aviver leur faim de plein air. Ils adressèrent à Isabelle un regard désespéré, auquel elle répondit par un regard résolu. Amédée surprit ce va-et-vient, sentit une fois de plus leur solidarité et sa solitude.

— Ce n’est pas la peine de vous regarder, reprit-il brusquement, enflammé de colère. Vous n’y changerez rien. Même si nous pouvions aller en vacances, nous n’irions pas. Nous n’irions pas à cause de ce garçon-là.

Son doigt tendu désignait Laurent.

— À cause de moi ? demanda le jeune garçon, levant un visage stupéfait, méfiant, hostile.