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LE RAISIN VERT

et le jardin éclatant, touffu, désordonné, apparut sous la blessante lumière, avec ses magnolias massifs portant leurs fleurs comme des coupes et la flamme des géraniums qui s’exaltait du rouge au violet.

— Dire qu’Amédée a voulu aller essayer sa canne à moulinet par une chaleur pareille ! Il a des impatiences d’enfant… Tu ne rentres pas, Corbiau ?

— Non, j’aime mieux rester dehors.

— Tu ne te sens pas rôtir ?

— Non, je suis bien.

Isabelle regarda d’un œil incrédule la mince et longue silhouette qui se promenait dans l’allée, autour du grand magnolia, la tête penchée comme à l’ordinaire, entraînée vers le sol, eût-on dit, par le poids de ses cheveux noirs, plats et glissants qui voilaient à demi son profil.

— Cette enfant a du sang de salamandre, conclut-elle. Ce n’est pas explicable autrement.

Le Corbiau se retourna vers la fenêtre. Ses gestes étaient lents, suspendus et elle parut chercher ses mots avant de dire :

— Je m’en vais faire un tour dans l’île.

— Bon, dit Isabelle. Prends garde aux serpents qui nichent sous les pierres, rappelle-toi que les fruits tombés ont toujours une guêpe dans le ventre, examine la physionomie des chiens avant de les caresser et n’oublie pas de revenir pour le goûter. Il faut que je te bourre un peu, on te compterait les côtes.

Le Corbiau inclina docilement la tête à chacune de ces recommandations. Comme elle franchissait le portillon du jardin qui donnait sur une venelle creuse, elle entendit un dernier anathème jeté sur l’île :

— Trouverons-nous seulement des fruits dans ce pays de Claquebec ? Sur tout notre parcours, j’ai vu un prunier, et il y avait bien dessus trois douzaines de prunes vertes.

Elle referma la barrière en souriant. C’était le spec-