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LE RAISIN VERT

tacle favori des enfants, cette véhémence d’Isabelle, ces refus emportés qu’elle opposait à tout ce qui contrariait sa nature, tout entière engagée dans le refus comme dans l’acceptation. Elle ne s’apaisait que lorsqu’elle avait anéanti verbalement l’être ou la chose qu’elle n’aimait pas. Et les trois enfants, les mains derrière le dos, le nez en l’air, assistaient tranquillement à ce massacre illusoire.

Illusoire… au moins, pour Lise et Laurent, doués d’humour, spectateurs-nés et pour qui les mots n’étaient que des mots.

Mais le Corbiau redoutait, d’instinct, le pouvoir du verbe. Et chaque fois qu’Isabelle poussait une de ces sorties impétueuses, il y avait en elle quelque chose qui souffrait, et qui se repliait sous la protection du silence et de l’éloignement. C’était en elle-même, à présent, qu’il lui fallait retrouver la maison du champ de seigle, naguère figurée par un carré de petits cailloux. Seule au milieu de la venelle, elle s’étira en souriant. Cette île lui plaisait, torride et touffue, cernée de varech et de salive marine, embaumée du parfum sucré des figues. Mais c’est seulement depuis qu’elle se trouvait seule qu’elle en était sûre. Et elle commença de regarder autour d’elle, selon son mode lent, appliqué et précis, qui ne pouvait se déployer que loin du groupe Isabelle-Lise-Laurent, lorsque leur rythme de vie intense et rapide, leur parole vive, imagée, cessait de projeter une ombre tyrannique sur sa propre vie.

La maison qu’ils avaient louée se trouvait au bas du village, construit sur un socle rocheux qui dominait les eaux bleues du golfe aux molles marées. Il fallait sortir du jardin pour voir la mer. Comme tous les jardins de l’île, il étouffait la maison basse, enfouie jusqu’aux persiennes dans les fleurs et la verdure et que des figuiers géants coiffaient de leurs branches, plus haut que le toit.