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LE RAISIN VERT

un autre objet, qui lui demeure inconnu. Aussi ne sent-elle encore que cette carence du goût, cette pauvreté de réaction, qui l’affligent, et, pour y remédier, elle appelle à soi le goût sévère et tranchant, la vive réaction d’Isabelle.

« Il n’y a rien de plus bête qu’un chalet normand. Quand vous en voyez un, vous en avez vu mille. Et cette manière de serrer les rideaux à la taille par un bout de ruban, rien de plus nigaud. Ça et la toile cirée sur une table, ne m’en parlez pas, c’est le genre petit ménage. »

Isabelle dirait aussi que voir la pleine mer de ses fenêtres est un spectacle à rendre les gens neurasthéniques en peu de semaines. Elle se cabre devant l’infini comme un cheval au bord du précipice.

C’est ainsi que le Corbiau gentil la trouve en elle, cabrée, mâchant le mors et secouant la tête en tous sens, pour dire non. Et c’est chaque fois un plaisir, un mouvement d’admiration pour celle qui dit non. Ensuite commence la résistance de l’âme qui voudrait dire oui et que cette présence interposée empêche. Aussi n’est-il pas de retraite assez profonde pour y trouver le droit de dire oui, le mot de toute sérénité.

— Tu aimes les cinéraires maritimes, Corbiau ? Je trouve que c’est un feuillage triste, un feuillage de cendre, comme son nom l’indique.

— Oui, j’aime les cinéraires maritimes, j’aime ce qui est triste. J’aime la cendre. Je suis bien ici, assise sur ce rocher où l’on a fait brûler du goémon pour en utiliser les cendres, et le rocher garde des traces de cendre, de flamme et de fumée. J’aime ce qui est consumé, volatilisé, perdu, et pourtant je voudrais le retrouver et je me désespère de ne pas le pouvoir. Mais j’aime aussi à être désespérée. J’aime à me sentir triste, en ce moment, jusqu’au fond de moi, devant cette maison où il n’y a personne et qui ne me plaît