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LE RAISIN VERT

ni ne me déplaît. Et j’aime à penser que ce monsieur inconnu s’est moqué de moi et qu’il a le droit de le faire, parce que je ne suis rien, rien au monde… Elle pleure à larmes chaudes, sans bouger, sous la brûlure du soleil. Douceur de n’être rien, de se réduire en cendres.

Au fond des cendres, qu’y a-t-il ?

Il y a le souvenir d’une voix :

— Avez-vous remarqué, maman, le sourire de cette petite fille ?

Au fond des cendres, il y a le phénix qui déploie ses ailes et jette un cri éblouissant. Et tout ce qui a retenti de ce cri en garde la vibration : une maison banale au bord d’une falaise, une bordure de cinéraires argentés, le rocher roussi par la flamme et la voix perpétuelle de la mer, qui chante comme chante le sang dans les oreilles quand on a la fièvre.

Sur la table de la salle à manger, il y avait un bouquet de fleurs des champs, un rayon de miel au creux d’une assiette blanche et une tarte aux fraises encore chaude, faite de cette pâte particulièrement croquante et fondante qu’Isabelle nommait la Toute Aimable, car on n’en laissait miette.

M. Durras venait de rentrer, dégoûté de la pêche. Exposé sur un rocher en plein soleil, il s’était battu pendant deux heures avec les cinquante mètres de filin de sa canne à moulinet et n’avait ramené au bout de ses hameçons que des perruques d’algues ruisselantes. Aussi accueillit-il fort mal l’exclamation que poussa Lise, quand elle le vit revenir, la face cramoisie : « Ô ciel, papa, c’est toi le homard ! » et il y eut des pleurs et des grincements de dents.

À présent, tout était apaisé, grâce à l’aspirine et aux compresses, grâce à la pénombre fraîche, à la