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LE RAISIN VERT

ses oreilles… la voix de la mer, de l’amour, de la mort… Un bruit d’eau sur du sable.

Qui l’appelle ?

Elle pose un pied sur le parquet, puis l’autre.

Et si c’est un piège ?

Cette crainte l’effleure, mais ne l’arrête. Elle qui se méfie de tout et de tous, ne sait dire non à rien ni à personne.

La respiration s’élève, toute proche à présent. Ce n’est pas un soupir, ce n’est pas un appel. C’est une présence impérieuse qui respire, là, tout près.

Comme le Corbiau va franchir la fenêtre, quelqu’un claque dans ses mains, à petits coups rapides, et la voix d’Isabelle traverse la nuit, fonçant droit sur l’invisible :

— Pchou ! Sale bête ! Veux-tu te sauver !

La respiration s’est tue. Et la voix reprend, ensommeillée, retournant vers les profondeurs de la chambre voisine :

— Il doit y avoir des mulots dans le figuier. Depuis que les figues sont mûres, ce hibou vient toutes les nuits.

Debout à la fenêtre, devant la masse confuse du jardin où la pâleur du gravier trace une sorte de voie lactée, le Corbiau rit tout bas, à la pensée qu’elle a pris un oiseau nocturne pour…

Pour qui, au fait ?

Pour quelqu’un d’innommé, dont la présence donne aux choses un autre sens. Danger, espoir, mystère. Mais ce n’était qu’un hibou qui venait chasser les rats.

Le cœur de la petite fille a retrouvé son rythme normal, son corps, détendu, cesse de se défendre. Elle se recouche, apaisée. Aucun appel ne troublera plus sa nuit. Mais le soupir qu’elle pousse, du fond de la poitrine en posant sa tête sur l’oreiller, est-ce soulagement ? Est-ce regret ?