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LE RAISIN VERT

— C’est vrai, dit-elle lentement. Je n’y avais pas pensé. Je vous demande bien pardon, oncle Amédée.

Elle reprit sa marche à côté de lui, le front baissé sous son voile de cheveux noirs.

Comme tout était compliqué, difficile ! Isabelle et Laurent souffraient à cause d’Amédée, mais Amédée souffrait aussi à cause d’Isabelle et de Laurent. Le persécuteur devenait à son tour persécuté. Ne souffrait-il pas de lui-même autant que les autres en pouvaient souffrir ?

Ces pensées l’absorbaient tant qu’elle franchit sans y prendre garde le seuil de la maison normande. Lorsqu’elle s’en aperçut, le docteur Olivier était là, qui l’avait saluée d’un sourire et qui écoutait les explications d’Amédée. Et tout cela, qui aurait dû lui paraître miraculeux, l’intéressait à peine, parce qu’elle était allée si loin en elle-même à la poursuite du drame des Durras qu’elle ne pouvait plus porter attention à ce qui l’entourait.

Un regret l’assaillit alors qu’ils descendaient tous les trois vers la maison, M. Durras à côté du docteur, elle marchant derrière les deux hommes, dans le sentier étroit. Les Durras lui avaient volé son miracle. Son cœur se gonfla d’amertume. La laisseraient-ils vivre, enfin ?

« Mais que je suis mauvaise ! Est-ce de leur faute ? M’ont-ils jamais demandé de penser à eux ? Si je pense à eux, c’est parce que je les aime tant. Je ne vais tout de même pas leur en vouloir parce que je les aime ? »

Et sa rancune, qui cherche une victime, se tourne contre le docteur Olivier. C’est lui qui l’a rendue mauvaise. Elle ne l’aime plus, elle ne lui adressera jamais plus la parole.

Une demi-heure plus tard, elle se promenait dans la venelle, le long du mur du jardin, épiant passionnément la sortie du docteur.