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LE RAISIN VERT

alors, c’est le cas de le dire ! Laurent a tout gobé, cette espèce de Père la Tremblotte, il en est malade. Le Corbiau, je ne sais pas, mais je la trouve nerveuse. On va leur faire boire de la fleur d’oranger.

Isabelle fronça le sourcil, marmotta entre ses dents une menace confuse où il était question de tonsure et de scalp et se mit en mesure de préparer le breuvage calmant.

L’explosion n’eut lieu qu’un moment après, et ce fut le Corbiau qui la recueillit. Ce n’était pas sans raison qu’Isabelle se laissait aller auprès de sa fille adoptive à l’emportement d’une indignation qu’elle épargnait à son fils. Laurent, pensait-elle, était capable d’éliminer de lui-même un germe morbide, après quelques convulsions. Mieux valait ne pas déranger son travail intérieur. La nature lente et secrète du Corbiau lui inspirait plus d’inquiétude.

— L’enfer, l’enfer, disait Isabelle en secouant son chignon… Je te demande un peu qui est allé y voir… Et la mort… Vraiment, ils ont découvert ça, que nous sommes tous mortels ! Et c’est une raison pour aller étouffer l’enfance en fleur sous les images les plus atroces ! Non, décidément, rien n’a changé depuis le temps où Mlle Sibylle — vieux monstre — nous conduisait en troupe dans la cuisine de la pension et nous montrait le fourneau chauffé au rouge en nous disant que c’était une goutte d’eau fraîche auprès du feu éternel. Sadisme et catholicisme ont toujours marché de compagnie. Tu m’entends, Corbiau ?

— J’entends, dit le Corbiau.

Elle était assise sur le canapé et berçait son genou entre ses mains, le regard vague. Isabelle lança un nouvel assaut :

— Est-ce qu’on pense à la mort à votre âge ? Est-ce qu’on doit y penser ? On doit penser à s’épanouir au soleil et à sentir bon, comme les fleurs. Est-ce