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LE RAISIN VERT

Elle était si légère, dans sa chemise de nuit, que le vieux parquet fléchissant de la petite antichambre ne grinça même pas sous son poids.

Mais elle s’arrêta, dans l’ombre, avant de franchir le seuil du bureau, car la porte était entr’ouverte sur une colonne de lumière et la voix de Laurent parvenait à ses oreilles, un murmure bas, hésitant, qui laissait des silences entre les mots.

Après un silence plus long que les autres, la voix d’Amédée s’éleva, nasale, très nette, parlant sur le diapason ordinaire, avec calme :

— Nous réconcilier, mon garçon ? Mais nous n’avons jamais été fâchés. Évidemment, je n’ai pas pour toi l’indulgence folle de ta mère ni l’admiration bêlante de tes sœurs, mais quand je sévis contre toi, c’est pour ton bien, crois-le.

Le murmure bas reprit, coupé de : « Eûh… Eûh… » Ce que Laurent avait à dire devait être très difficile. Le Corbiau en l’écoutant, avait mal dans le dos.

Et soudain Amédée s’écria d’un ton stupéfait :

— Mais, mon garçon, qu’est-ce que tu me chantes là ? Moi, entraver ta vie spirituelle ? Mais c’est insensé. Est-ce que je t’empêche d’aller à l’église ? Si tu as le goût de faire ton salut, selon la formule, tu es bien libre. Je n’ai jamais voulu de mal à ton âme, mon garçon, si âme il y a. Et pas davantage à ton corps. C’est pour me raconter ces sornettes que tu viens me déranger à onze heures du soir ? Non ? Tu as autre chose à me dire ? Eh bien, vas-y, je t’écoute. Tu ne prétendras pas que je ne t’aie pas laissé parler.

— …

— Que dis-tu ? Te pardonner ? Qu’est-ce que tu as encore fait ? Rien ? Alors ?… Te pardonner quoi ?

Bien que le Corbiau tendît l’oreille et que son cœur battît à se rompre de l’effort qu’elle faisait, elle ne perçut, cette fois encore qu’un murmure et s’ingéniait à en deviner le sens, lorsque son oncle répéta lente-