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LE RAISIN VERT

apparaissait sur le seuil d’une pièce où ils se tenaient tous les quatre, occupés de quelque projet commun, et demeurait là, pâle, immobile, comme le pauvre qui contemple à travers une vitre le festin des riches.

Mais cette fois-ci, la perception du drame secret que la mort n’avait pas tranché ne provoqua en elle aucun fléchissement. Un soleil nouveau lui donnait des forces. Tous remporteraient la victoire, elle en était sûre : Isabelle chaleureuse et fertile, Lise qui faisait briller la vie, Laurent, riche de trésors enfouis, et moi, et moi, qui suis moi !

N’était-ce pas à elle de trouver le moyen d’apaiser ces mânes avides et malheureux, animés du même désir insatiable, qu’ils errassent en deçà ou au delà du plan visible ? Elle le trouverait. Il y avait tant de force dans son corps fragile, dans son cœur qui battait irrégulièrement, dans sa tête souvent pesante, martelée de migraines… Tant de force.

Elle sourit à Isabelle, pour la rassurer. La jeune femme ne vit pas ce sourire. Les yeux fixes, la bouche contractée, elle regardait Laurent, plongé dans une sombre rêverie et qui, machinalement, triturait entre ses doigts des boulettes de mie de pain et en jonchait la nappe autour de son assiette.

Le Corbiau suivit la direction de ce regard, et avant même d’avoir saisi la pensée d’Isabelle, elle invoqua silencieusement en elle la source de sa neuve énergie :

« Emmanuelle ! Emmanuelle de la Roche-Sabré ! »