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LE RAISIN VERT

Ce n’était pas là des conditions favorables pour un garçon qui portait dans son sang les germes funestes du dégoût et du désenchantement. Puritain misogyne, Laurent, comme jadis M. Durras, semblait ruminer une perpétuelle offense. Et lorsque Isabelle essayait de démêler les causes de cette rancune universelle, elle entrevoyait des nœuds de sentiments si étranges qu’elle finissait par s’accuser elle-même d’imagination romanesque.

Est-ce imagination, de croire que Laurent épouse secrètement les griefs paternels et reproche à sa mère d’avoir triomphé pour l’amour de lui ? L’ombre d’Holopherne poursuit Judith. Et si Judith est hors d’atteinte, défendue par la vénération, le culte filial, toutes les femmes porteront à sa place le poids du grief.

Ce qui serait encore assez simple, s’il ne demeurait l’ennemi de son allié. S’il n’y avait entre eux le dessein de destruction poursuivi à travers la mort même, la haine inexpiable, les pensées inavouées qui pèsent sur la conscience. S’il n’y avait enfin, transmis du père au fils, avec un sang orageux, l’appétit violent de la femme.

« Mon Dieu, soupira Isabelle, elle sera donc éternellement vraie, la parabole des raisins verts ? N’y a-t-il aucun moyen de la fléchir et que Laurent goûte un jour aux raisins mûrs ? »

Le courage lui revint en considérant la table fleurie, nappée de toile fine et de vieilles dentelles, comme aux jours d’antan. On allait fêter aujourd’hui les nouveaux bacheliers, Laurent et Jacques Henry. Les amies des petites étaient invitées, Cassandre, Marcelle Bopp et cette fameuse Emmanuelle que le Corbiau s’était tout d’un coup décidée à produire, après en avoir été si jalouse qu’elle cillait d’inquiétude dès que l’on prononçait son nom.

Le goûter ne se ressentirait pas trop des restrictions