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LE RAISIN VERT

de guerre. C’était encore un peu de la bonne substance de la terre qui allait passer dans les veines de cette jeunesse, pour en faire du bonheur, demain.

Cassandre et Marcelle Bopp, qui n’avaient ni frères ni cousins, conservaient un souvenir tout à fait particulier d’un après-midi passé chez les Durras, au printemps de l’année dernière. Tandis qu’elles bavardaient avec leurs amies dans la chambre de Lise, la porte s’était ouverte brusquement et elles avaient vu entrer un garçon de quinze à seize ans qui s’avançait en boitant, l’œil fixe et la lèvre pendante.

— Laurent ! s’était écriée Lise en tapant du pied, ne viens pas nous faire un numéro de cirque. On n’a pas besoin de toi ici.

Le garçon s’était arrêté net, comme un automate dont on a cassé le ressort. Puis, levant la main droite, il avait pointé l’index vers les jeunes filles interdites et, se tournant vers ses sœurs, avait fait entendre le rire gloussant des idiots. Enfin, virant sur ses talons, il était reparti, toujours boitant, mais cette fois de l’autre jambe, tandis que Lise bombardait ses épaules impavides de tous les objets qu’elle pouvait attraper.

Depuis, elles n’avaient jamais franchi le seuil de la maison Durras sans une intime appréhension, mais le démon du logis ne s’était plus manifesté.

Elles avaient toutefois cru bon d’avertir Emmanuelle qui se rendait avec elles pour la première fois chez leurs amies, ce lendemain du 14 juillet qui devait être leur dernier jour de réunion avant les vacances.

— Crevant, dit la grande fille. J’adore les idiots. S’il fait l’âne, je me mets à braire.

Toutes les trois furent amèrement déçues en voyant arriver un jeune homme brun, trapu, correct et dis-