Page:Ratel - Isabelle Comtat, Le Raisin vert, 1935.djvu/208

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
190
LE RAISIN VERT

tant, suivi d’un jeune homme blond, long et mince et empreint d’une distinction glacée.

Les présentations faites et les saluts échangés avec une froideur égale de part et d’autre, les deux jeunes gens se retirèrent ostensiblement dans un coin du salon et se mirent à discuter à haute voix des avantages comparés de l’artillerie lourde et de l’artillerie de campagne.

« Mais il n’est pas drôle du tout », souffla Emmanuelle à Cassandre, cependant que Lise bougonnait :

— Ah ! non, ah ! non, on n’est pas ici pour parler de la guerre ! Si on allait dans ma chambre ?

Comme elles allaient se retirer, la voix de Jacques Henry s’éleva :

— C’est nous qui vous faisons fuir, mesdemoiselles ? Mademoiselle Anne-Marie, dites-moi la vérité.

— Jacques, s’écria Lise, Jacques, Jacques Henry, dites-nous un peu, vous, pourquoi vous vous obstinez à donner du mademoiselle à ma sœur alors que vous êtes le famulus de la maison depuis je ne sais combien de lustres ?

— C’est sans doute, répliqua Jacques, que mademoiselle votre sœur porte en elle quelque vertu respectatoire, de même que le feu porte en lui la vertu phlogistique.

— Hou ! là là, s’écria la voix de bronze d’Emmanuelle, vous me la copierez, que je l’apprenne par cœur ?

Tout le monde éclata de rire, même Jacques Henry, qui s’empourpra jusqu’à la racine de ses cheveux blonds, sous le regard cordial et préoccupé de son ami.

« Contact, » pensa Lise, et, soufflant sur cette étincelle, elle entama avec les uns et les autres un feu roulant de pédanteries qui les portèrent tous au comble de la satisfaction.

— Passé le bac cette année ? demandait Emmanuelle à Laurent. Avez-vous beaucoup souffert ?