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LE RAISIN VERT

Maintenant, ce n’était plus la trace impalpable, tout de suite effacée, d’une araignée d’eau.

Il fallait plutôt penser à cette ride qui se forme à la surface d’une solution chimique sursaturée, à l’instant où la cristallisation commence.

Laurent était assis dans un coin du salon, l’œil sombre et la mâchoire durcie, tandis que Cassandre chantait, accompagnée au piano par Emmanuelle.

Cassandre possédait une voix ample, riche et dorée, une de ces voix du Sud qu’elle devait à son sang italien. C’est peut-être la même raison qui lui faisait chérir les mélodies sentimentales un peu faciles.

Après une romance de Chaminade, elle attaqua, toute vibrante, une mélodie passionnée d’Augusta Holmès :

J’ai percé ton cœur
De mes griffes d’or.
J’ai tenu ton cœur
Dans mes mains de soie
Comme un fruit qu’on broie…

Paroles ni musique n’étaient de celles qui pouvaient plaire à l’esprit malin du clan Durras. Lise et le Corbiau n’en prenaient pas moins de plaisir à écouter la belle voix de Cassandre, déjà formée, comme son visage de quinze ans, si lourd de substance féminine.

Mais Laurent devenait sombre, offensé, eût-on dit. Il n’eut pas un mot, pas un geste quand la jeune fille cessa de chanter, au milieu des applaudissements.

Emmanuelle se dirigea vers lui :

— Eh bien, le hérisson, vous n’êtes pas content ? Vous ne trouvez pas qu’elle a une voix admirable ?

— Mais si, mais si, dit Laurent d’un ton détaché.

— Hou ! là-là ! s’écria Emmanuelle. Petite bouche,