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VI


D’attente en attente, de saison en saison, de pluie en gel, de gel en boue, de boue en soleil et de soleil en pluie, la guerre durait, durait…

Un an, deux ans, trois ans bientôt. Laurent était parti, avec Jacques Henry et tous les bacheliers d’hier. Les deux amis accomplissaient leur instruction militaire dans la même petite ville de l’Ouest, Jacques qui était bon cavalier, comme artilleur, Laurent comme fantassin.

Les hasards de l’affectation l’avaient fait tomber dans un régiment recruté parmi les bas-fonds de Paris. Il connut donc ce que la caserne peut offrir de plus déprimant dans cette épreuve tant vantée qui consiste à faire rentrer un individu dans la masse et à le fouler jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien de ses traits distinctifs, le plus haut étant repoussé et maintenu au niveau du plus bas, à la satisfaction générale.

Suspect dès le premier jour, à cause de ses mains soignées et parce qu’il ne savait pas lancer un jet de salive entre ses dents de devant, le soldat Durras apprit bientôt que le crime d’avoir des ongles propres valait vingt coups de polochon au milieu de la nuit et que la froideur manifestée devant une plaisanterie scatologique constituait un sacrilège pour lequel il eût été défenestré du haut d’un deuxième étage, sans la vigueur de ses poings.

Et il écrivait à la maison : « Ma chère maman, tu t’es donné bien des peines et tu as pleuré bien des