Page:Ratel - Isabelle Comtat, Le Raisin vert, 1935.djvu/237

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
219
LE RAISIN VERT

« Ce sont des calories, mes enfants, il faut vous les mettre dans le corps. »

Tout en absorbant ses calories, le Corbiau lui demandait de conter ses patinages de nuit, du temps qu’elle était jeune fille.

Isabelle entamait volontiers ce chapitre et sa parole ressuscitait une société disparue, gourmande, courtoise et fine, modelée par une aristocratie un peu vaine, mais bienveillante, qui prolongeait dans un coin de province, de château à maison, les habitudes et les fastes de la défunte cour des Tuileries.

— Il y avait des girandoles de lanternes vénitiennes sur tout le pourtour du grand étang, des réflecteurs, pour éclairer la glace et une tente dressée pour les consommations, avec des braseros de place en place…

Le Corbiau voyait cela, et le scintillement des étoiles, là-haut, et l’odeur du gel qui s’accrochait aux fourrures…

— C’était l’année où nous portions, ma sœur et moi, des jaquettes à la russe, en drap vert bouteille, très serrées à la taille, avec un col Médicis garni de plumes de paon… Quand les jeunes gens poussaient les petits traîneaux rouges, nous, assises dedans, bien droites, c’était tout à fait troïka-mazurka

Les jeunes gens, le Corbiau les connaissait aussi. Le lieutenant de dragons qui s’amusait à couper un jeu de cartes entre le pouce et l’index, pour montrer sa force, et le grand marquis au nom superbe, si haut de taille qu’il soulevait de terre ses valseuses…

— Et la belle femme du colonel ? Parle-moi de la belle femme du colonel ?

— Bichette ? Oui, tout le monde l’appelait Bichette, comme son brave colonel de mari, qu’elle aimait d’ailleurs fort honnêtement. Mais le bonheur, la gloire de Bichette, c’était d’avoir une cour. Elle était grande, mince et portait bien la toilette et les hommages ne lui manquaient pas. Alors, lorsqu’il lui arrivait de