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LE RAISIN VERT

Les prunelles amoureuses chavirèrent d’extase, lorsque Patachon s’assit au piano, dans un petit salon où des bouts de tapis découpaient des coins luisants de parquet entre les chaises raides et dorées, imitation de Louis XVI et deux ou trois fauteuils « crapaud » recouverts d’une housse de cretonne rose.

À vrai dire, Patachon ne savait que faire de son personnage entre ces trois diablesses. Si sûr de lui qu’il fût d’ordinaire, il jugeait la situation difficile. Et il avait trouvé ce moyen, de jouer la Marche turque de Mozart pour mettre du liant.

Tandis qu’il attaquait les premières mesures avec une telle vigueur et une si péremptoire confusion des sons que l’on aurait cru qu’il frappait les notes avec ses poings, le regard de Lise se fixa sur un objet qui surmontait le piano. Ses yeux s’écarquillèrent et elle commença à se mordiller les doigts l’un après l’autre, d’un air affolé.

Les deux autres suivirent son regard et… non, réellement, on ne pouvait y résister. Il y avait sur le piano un petit singe de peluche verte, haut comme le doigt, qui tenait un plumeau rouge fiché debout au creux de son bras. Et chaque fois que Patachon frappait un temps fort, de toute la vigueur de ses poignets, le singe, sur le piano, saluait du plumeau.

De nouveau, ce fut le soleil, la poussière de diamant de la prime jeunesse. Un fou rire de quinze ans les écrasait toutes les trois dans leurs fauteuils crapaud, aux accents de la Marche turque. Et Lise se dit : « Patachon est enterré. »

Lorsqu’il se retourna après avoir plaqué un dernier accord, elles avaient eu le temps de se remettre. Mais il vit bien, à leur teint animé, à leurs yeux brillants, que la musique leur avait fait plaisir.

— Vous prendrez bien un peu de porto, mesdemoiselles ?

Bien que ce porto commençât de fleurer le scan-