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LE RAISIN VERT

— Bien, dit Laurent. Tu as compris comme moi. Et ma vraie pensée, à moi, au même moment, sais-tu aussi ce qu’elle était ?

— Je crois que oui, dit le Corbiau.

Laurent la regarda — et, sous ses sourcils rapprochés, l’ombre et la lumière luttaient dans ses prunelles.

— Et tu ne trouves pas cela… abominable ? Elle prit un temps de réflexion :

— La seule chose que je trouve abominable, dit-elle enfin, c’est de se mentir à soi-même. Je pense que tous les espoirs sont permis à partir du moment où l’on voit les choses telles qu’elles sont. Je trouve qu’il faut faire place nette à l’intérieur, sans ménagement pour rien ni pour personne.

— D’accord, dit Laurent. Moi, j’ai déjà fait place nette en ce qui concerne l’idéalisme et la mystique — tous les genres de mystiques. Pour le reste… le reste, c’est le petit jeu des ressemblances. Eh bien, vois-tu, ça aussi, j’en ai pris mon parti.

— C’était la seule chose à faire, dit le Corbiau.

Laurent jeta un rapide regard en arrière et conclut à mi-voix, très vite, car Isabelle et Lise se rapprochaient :

— Alors, je voulais te dire : si jamais il m’arrivait malheur, tu saurais que, cette fois, je ne l’ai pas cherché.

Le train qui remportait les trois voyageuses était bondé de permissionnaires que l’on dirigeait sur une gare d’embranchement pour regagner le front.

Elles avaient pu trouver place dans un compartiment de troisième classe et se taisaient, sentant leur présence insolite parmi tant de capotes bleu horizon, de casques, de gamelles, de jurons et la grosse odeur