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LE RAISIN VERT

vieille, mon déjeuner au plumard ! Du chocolat, vous vous rendez compte, avec des tartines beurrées ? C’est marant… »

Ou bien était-ce un souvenir d’une main plus jeune, dont la paume avait pressé la sienne jusqu’à la minute du départ ?

— Vous ferez bien attention à vous, dites ?

— Tu te garderas, mon gars ?

— Mâ voui… Mâ voui…

Il avait un joli visage, fier et fin, et ce sourire qui se parle à lui-même.

Ses cheveux bouclés fascinaient le réserviste assis en face de lui, un homme des campagnes, taillé à gros plans, comme une motte par le soc. Il éleva lentement son index terminé par une griffe cornée, épaisse et terreuse :

— Ça, mon fi, demain… Bille en bois. Tic, tic, tic, la tondeuse, en débarquant.

— Penses-tu ! dit l’autre, retroussant le coin de sa lèvre narquoise. J’ai le filon. Je suis dans les saucisses, moi, pas ? Observateur. Alors, quand il arrive, le frère à la tondeuse, je prends le tour d’observation d’un copain. Vient pas me chercher là-haut, eh ?

L’autre hocha la tête. Un lent travail s’y accomplissait.

— Là-haut ? mon fi… mais dis donc… là-haut… fait chaud, hein ? Bjii, bjii, piiou ! Les shrapnells… C’est pas la noce.

Le petit sergent leva des épaules insouciantes :

— Que veux-tu ! Je tiens à mes cheveux, moi. T’es descendu, bon, c’est ta chance. Mais qu’y m’habillent le crâne en cul de caniche, ça, non !

Il tourna vers la vitre son fin menton, haut maintenu par le col de drap noir et sourit aux nuages. Puis, la tête appuyée à la cloison de bois, le béret crânement posé en arrière, il s’en alla vers ses souvenirs, paupières fermées. Sur son visage qui paraissait dor-