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LE RAISIN VERT

— Elle me fait penser à la fontaine de l’Alhambra.

— À la fontaine… de l’Alhambra ?

Il y avait dans la voix grave de Cassandre un étonnement joyeux, une montée allègre.

C’est qu’elle se sentait tout à coup très heureuse. Elle retrouvait ses quinze ans, le souvenir de cet après-midi chez les Durras qui s’était si dramatiquement terminé. Ce jour-là, regardant le jeune homme debout devant Emmanuelle, blanc de colère, les poings serrés, elle s’était dit : « Moi, si un homme me parlait ainsi, je le mordrais jusqu’au sang et… et je crois que je tomberais amoureuse de lui… »

— À la fontaine de l’Alhambra, reprit Laurent. Mais pas à celle de Grenade. À cette fontaine de l’Alhambra qu’une vieille toquée de ma connaissance a reconstituée chez elle avec du papier à chocolat et des bouillonnements de papier cristal dans une vasque de carton doré.

Brusquement, la rudesse d’autrefois triompha de son humeur caustique, le regard offensé et violent reparut dans ses yeux :

— Vous ne pourriez pas vous habiller autrement, non ? C’est une tenue pour se promener sur un boulevard à quatre heures de l’après-midi ? Cette étoffe de quatre sous, ce clinquant, cette jupe de danseuse de corde, et ce boa de plumes de canard, comme une boniche d’avant-guerre.

— Eh bien ! souffla Cassandre époumonnée, eh bien ! vrai !

Laurent continuait avec emportement.

— Si vous aviez un seul costume, mais bien coupé — un tailleur net ou une robe d’une belle étoffe souple qui laisserait jouir vos lignes sans exhiber les détails — un petit chapeau qui vous emboîterait la tête et découvrirait votre profil — et un simple foulard de soie bleu pâle pour mettre en valeur le teint et les cheveux que vous avez la chance de pos-