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LE RAISIN VERT

Isabelle tourna la tête, rencontra son regard et lui opposa un visage paisible. Les enfants avaient recueilli son paroxysme, Amédée arrivait trop tard.

Mais lorsqu’elle l’eut à son tour dévisagé, elle alla vivement à lui, s’interposant entre les petites filles et ce spectacle qu’elle voulait leur épargner, d’une passion inexorable et vaine qui avait déjà fait deux victimes et dont il fallait à tout prix protéger des innocents.

— Allons dans votre bureau, dit-elle. Nous y serons mieux pour discuter.

— Je me trouve très bien ici, moi, répondit Amédée, sur un ton de nargue froide.

Au son de cette voix, le Corbiau se leva à son tour du canapé où elle était assise. Elle avait mal au cœur, une nausée imprécise qu’aucun vomissement ne soulagerait, car l’âme ne possède aucun moyen d’éliminer ce qui lui est contraire.

— Je crois… balbutia-t-elle, je crois que j’ai attrapé la typhoïde.

— C’est ça, dit Amédée, rends-toi intéressante. Il y avait longtemps qu’on ne s’était occupé d’un de vous trois, n’est-ce pas ?

Isabelle essaya de l’entraîner en passant son bras sous le sien : « Allons, mon ami… » Mais il résistait, trop heureux d’avoir trouvé un moyen de l’atteindre.

Mon Dieu, si cela pouvait être vrai, qu’elle eût attrapé la typhoïde ! Si on pouvait faire arriver les choses en les appelant de ses vœux ! Une bonne typhoïde qu’elle aurait passée à Laurent, cela arrangeait tout. Et si elle avait pu mourir de sa typhoïde, elle aurait ainsi rédigé son testament : « Je lègue tout mes biens à M. Amédée Durras, mon oncle et tuteur, à condition qu’il ne mette pas Laurent en pension… »

D’un œil absent, elle vit Lise s’avancer vers son père, les mains derrière le dos, le visage levé.

— Dis-moi, papa, commença-t-elle d’un ton incré-