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LE RAISIN VERT

Ce soir-là, Lise voulut mettre ses escarpins pour dîner.

— Maman, je t’en prie, laisse-moi me figurer que je dîne en ville…

— Et si ton père s’en aperçoit ? objecta Mme Durras.

— Penses-tu !

Isabelle céda en souriant :

— Allons ! Il faut profiter de l’âge où on trouve de la magie dans une paire d’escarpins…

C’était bien de la magie, à en juger par le plaisir qui faisait briller les yeux de Lise et vibrer dans sa voix un grelot d’argent, tandis qu’elle répondait : « Non, je vous remercie, j’ai eu suffisamment de cet excellent potage, » et souriait à des visions de fleurs, de cristaux étincelants et d’épaules décolletées.

Si, d’aventure, la magie faiblissait, parce que M. Durras venait de se moucher avec bruit ou que Laurent pinçait sa sœur sous la table, il suffisait à Lise de frotter doucement l’un de ses escarpins vernis sur la tige de l’une de ses chaussettes de soie noire pour reconstituer l’atmosphère. Et Amédée, à l’insu de qui Mme Durras avait acheté les escarpins, en prélevant la somme sur son modeste budget de toilette personnelle, Amédée ne se fût jamais aperçu de rien, si le démon de Laurent ne s’était tout à coup manifesté, à sa manière brusque et folle.

Laurent avait été très sombre toute la soirée. Tout à coup il regarda Lise d’un air de défi et se tourna vers son père :

— Papa, regarde sous la table.

— Eh bien ? demanda M. Durras qui avait soulevé la nappe et ne voyait rien d’anormal, les pieds de Lise s’étant réfugiés sous sa chaise aussi loin que peuvent aller deux pieds malheureusement retenus par deux jambes.