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LE RAISIN VERT

Laurent insista :

— Regarde les chaussures de Lise.

— Fais voir, Lise, dit M. Durras d’un ton bref.

Lise foudroya son frère du regard et ramena ses pieds à l’alignement, avec cette impression de soulagement absurde, mais indéniable, qui suit immédiatement la catastrophe.

— Des escarpins ! s’écria M. Durras, stupéfait. Isabelle, vous lui avez acheté des escarpins ?

— Je lui ai acheté des escarpins, répondit Isabelle. Je les lui ai achetés sur ma bourse.

Et elle traça rêveusement un losange sur la nappe, du bout de son couteau à fruits.

— Il ne s’agit pas de bourse, dit Amédée. C’est pour le principe. Peut-on savoir pourquoi vous lui avez acheté des escarpins ?

— Parce qu’elle avait besoin d’escarpins.

Un deuxième losange s’inscrivit sur la nappe, accolé au premier par un angle.

— Et pourquoi avait-elle besoin d’escarpins ?

— Parce qu’on ne danse pas avec des bottines.

— On ne danse pas… Comment ! elle danse, à présent ?

— Elle danse.

Un troisième losange affirma cette troisième évidence.

Là-dessus, le Corbiau se jeta dans le débat :

— Moi aussi je danse, oncle Amédée.

— Toi, dit Amédée, tu es priée de te taire. Tu as la spécialité de rester bouche cousue quand on t’interroge et de prendre la parole quand on ne te demande rien. C’est à ma femme que je m’adresse. Tu n’as rien à dire.

Il devenait fébrile, le ton de sa voix montait dans le nez et l’on pouvait suivre sur le visage de Laurent les ravages de l’inquiétude et du remords.

— Et où dansent-elles, je vous prie, ces demoiselles ?

— À la pension Rémusat.