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LE RAISIN VERT

— Est-il réussi, cet animal ! dit Isabelle en le contemplant avec une fierté naïve. Une femme lui envierait ses yeux. Quels beaux cils ! En a-t-il de la chance, que je lui aie fait des cils pareils ! Voilà, Lise, c’est fini, tu peux te regarder.

Le regard brillant de la petite fille s’en fut quêter dans la glace le reflet de la déesse qu’elle constituait depuis tout à l’heure par petits morceaux en s’aidant de grands souvenirs. À la fois Vénus, Diane et Calypso, une merveilleuse beauté grecque, aux longues jambes pareilles à des fuseaux entés sur de fines colonnes, aux seins bombés comme des coupes sous la draperie, au col parfait soutenant une petite tête qu’un diadème de cheveux noués couronnait avec une grâce négligente.

Telle était l’image qui voyagea des yeux de Lise à la glace. Celle qui revint de la glace aux yeux de Lise représentait une petite Grecque en crépon de coton, au buste plat comme une carte à jouer, aux mollets ronds. Un minois de chat blanc, rieur et câlin, mais où, dieux immortels, où était le profil de Diane ? Où, le geste des bras retenant la tunique sur l’épaule, où, l’avancée divine de la longue cuisse, où, la jambe altière, chaussée du cothurne, prête à fouler le sol des forêts ?

Les cothurnes, hélas ! les cothurnes… Le satin, trop mou, bâillait aux chevilles et les œillets cernés d’un point de feston, sous la traction des liens, s’allongeaient lamentablement. La respiration de Lise s’essoufflait.

— Qu’est-ce que tu as, mon Capricorne ? demanda Isabelle étonnée de son silence. Quelque chose ne te plaît pas ? Dis-le, je l’arrangerai.

Lise leva sur sa mère des yeux gros de rancune. Une colère dont elle n’était pas maîtresse montait du fond d’elle-même, le besoin de briser la glace, d’éteindre son reflet, le besoin de s’en prendre à