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LE RAISIN VERT

Le tourment qui venait de Laurent était plus précis, tout au moins quant à ses manifestations extérieures.

Depuis la fin de l’hiver, Laurent traversait des crises de dégoût violent qui l’amenaient toujours aux mêmes conclusions : le refus de se laver, par dégoût de son corps, le refus de travailler, par dégoût de son esprit. Il fallait batailler, chaque matin, pour le tub, chaque soir, pour les leçons. Vain effort, puisqu’il n’aboutissait qu’à imposer à Laurent ce qu’Isabelle aurait voulu qu’il souhaitât de lui-même. Mais comment forcer une volonté dans ses retranchements ? Les victoires qu’elle remportait sur Laurent pour l’amour de Laurent ne tardaient pas à lui être imputées à grief, comme si, en l’obligeant au respect de soi, elle avait commis une sorte d’abus de confiance à son profit personnel. Le temps était venu où l’orgueilleux garçon prenait ombrage de la tendresse à cause des droits qu’elle se donne, et revendiquait pour son compte le droit de déchoir comme une manière de libération. Ce droit lui étant refusé par une volonté inébranlable, il n’était pas de persécution que n’inventât ce persécuté, pour se venger de tout ce qui porte jupe. Dès que Laurent était rentré, la maison retentissait des cris rageurs de Lise, des plaintes et des imprécations de Marie, sur laquelle Laurent s’acharnait avec une fureur particulière, n’ayant d’égards que pour la fragilité du Corbiau, qu’il ménageait, intuitivement, au plus fort de la crise.

Isabelle, à bout de souffle, finissait par traîner son fils dans sa chambre, où elle l’enfermait à clef. Lorsqu’elle revenait, une heure plus tard, pour faire appel à sa raison, elle trouvait un garçon hirsute et débraillé, affalé dans un fauteuil, les pieds sur la cheminée, les bras pendants, le regard au plafond. Et les exhortations les plus pathétiques n’obtenaient de lui qu’un silence plein de sarcasme et de mépris.

C’est à ce moment-là qu’un père eût été le bien-