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VII. — La Franc-Maçonnerie dégoutée de Léo Taxil

L’Anticlérical ayant ses affaires embarrassées par des procès gênants, Léo Taxil le met en sommeil. La librairie était au nom de sa femme, qu’il en avait nommée la directrice et la gérante. Il crée un nouveau journal, tout semblable au précédent, avec un peu plus d’audace dans l’ordure : La République Anticléricale.

Ce papier, indigne même du nom de pamphlet, paraissait deux fois par semaine et coûtait deux sous. Le premier numéro, paru le 10 mai 1882, fut distribué gratuitement par les soins de tous les marchands de journaux. On commençait la publication d’un feuilleton sensationnel, dont le titre seul voulait déshonorer Léon X, que l’on mettait grossièrement en scène : Les maîtresses du Pape. Tumultueusement, on annonçait les titres des chapitres. : Comment on canonise un pouilleux, la chasse aux juifs, l’église du défroqué, la Papauté tend la main à l’Allemagne, le jubilé des courtisanes, etc. Nous passons les plus orduriers.

La République Anticléricale exécutait donc la même besogne que le précédent journal de Taxil. L’homme savait appuyer sa propagande par des gestes utiles. Il participait, bien que n’y étant pas toujours bien accueilli, aux Congrès anticléricaux. On le voit, en 1882, qui s’inscrit pour 50 francs sur une liste de souscription en faveur d’un Congrès pour la séparation des Églises et de l’État, alors que les autres souscripteurs versent modestement cinquante centimes, vingt sous ou cinq francs.

Il faisait des conférences en province, où son thème favori était les crimes de l’Inquisition. À l’appui de ses dires, il exhibait un bizarre instrument de torture, qui ne manquait pas d’exciter l’horreur de l’auditoire, et qu’il avait tout bonnement, selon son aveu, fait fabriquer chez Mazet, serrurier, 6, rue de Bièvre, pour la somme de 50 francs.

l’apprenti franc-maçon

Sa propagande relevait de la Libre Pensée, et non des Loges maçonniques. Ça se ressemble et ça peut se rejoindre, mais ce n’est pas nécessairement la même chose. Taxil resta quelque temps en dehors de la Maçonnerie. Il finit par s’y présenter, mais il ne lui appartint qu’un an ou dix-huit mois et ne dépassa pas le grade d’Apprenti. Le fait est extrêmement curieux, si l’on considère que Léo Taxil devait se faire une spécialité de révéler les secrets de la Franc-Maçonnerie, où l’on s’était bien gardé de les lui confier. En pareille affaire, tout est surprenant.

C’est à la Loge parisienne, le Temple de l’honneur français, que s’était fait inscrire Taxil. Comment un anticlérical si militant ne jouissait-il pas parmi ses F∴ d’une grande popularité ? L’évidence est qu’on ne l’aimait pas. On lui reprochait de protester contre les cérémonies du rituel, de rire des convocations au nom du Grand Architecte de l’Univers, de dire que les réunions maçonniques devraient être publiques, de ridiculiser les épreuves de l’initiation. Bref, d’être mauvais maçon. Visiblement, il n’a rien compris à la Franc-Maçonnerie et se conduit en hurluberlu ; mais les autorités maçonniques ne se donnent pas la peine de « l’éclairer », Au contraire, ils lui cherchent noise.

Une Loge narbonnaise demande Taxil pour une conférence ; le Grand-Orient revendique son droit de désigner un autre conférencier ; Taxil y va tout de même ; on l’assigne devant le Conseil maçonnique de sa Loge, une première fois.

Là, on évoque notamment l’affaire Auguste Roussel. Taxil obtient un non-lieu. Il en triomphe et accentue son attitude d’enfant terrible. Mais une seconde plainte le fait revenir devant le tribunal maçonnique. C’est une autre affaire Roussel, en apparence plus grave.

Ce journal de Montpellier, Le Midi Républicain, que Taxil a contribué à fonder, a publié deux lettres d’encouragement et de félicitations signées de Victor Hugo et de Louis Blanc, alors les pontifes suprêmes de l’anticléricalisme. Or, le haut maçon Paul Bert, fâché que ce journal l’eût attaqué, fait publier dans toute la presse une lettre où Victor Hugo et Louis Blanc protestent qu’ils n’ont jamais rien adressé au Midi Républicain.

L’affaire a du retentissement. Taxil riposte que c’est une manœuvre de Paul Bert, et que ni Hugo ni Louis Blanc n’ont guère de mémoire… La Loge maçonnique qui connaît son bonhomme sans scrupules croit le prendre en flagrant délit de faux et le fait comparaître. Le procès dure plusieurs audiences. « Produisez les originaux, demande-t-on à Taxil. » Il répond qu’il ne les a plus, qu’il ne sait ce qu’il en a fait. Pourtant, à l’audience suivante, il les a retrouvés, et il les présente. Le Conseil maçonnique s’incline.

Il est si peu convaincu cependant que l’affaire reprend tout de suite. Taxil est à nouveau cité devant le tribunal maçonnique. Cette fois on lui reproche de n’avoir pas déposé les documents aux archives de la Loge, et de les avoir entourés de commentaires injurieux pour Hugo et Louis Blanc, dans son journal où il les a publiés en fac similé. Le 27 octobre 1881, Taxil est exclu de la Maçonnerie. Comme il ne lui appartenait pas encore en 1879, il n’a donc fait qu’y passer.

Petit fait singulier, et dont l’interprétation est difficile : en accusant réception de son avis d’exclusion, Taxil envoie à sa Loge cent francs pour ses œuvres de bienfaisance. La Loge, dédaigneusement, les refuse. C’est une des habiletés de Taxil que de savoir donner de l’argent. Il en connaît étrangement le pouvoir amollisseur, et il aime à se faire croire désintéressé : il l’était peut-être. Quand il est en plein dans sa comédie religieuse, c’est par des offrandes adroites qu’il détourne les soupçons, et « miss Diana Vaughan » emploiera filialement le même procédé. Si le véritable Amphitryon est celui où l’on dîne, comment ne pas croire à la réalité d’une « miss Diana » qui payait ?

pourquoi la maçonnerie a chassé taxil

En prononçant l’exclusion de Taxil pour « supercheries littéraires », la Maçonnerie semble avoir saisi tout bonnement un prétexte. Taxil était bien capable d’avoir publié des documents faux, d’en avoir ensuite « rétabli » les originaux ; mais l’en soupçonner sans commencement de preuve est injuste, quel qu’il soit. D’autant plus qu’il était parfaitement possible que le père Hugo, dont les secrétaires envoyaient à jet continu des bénédictions laïques dans tous les coins de France, ait oublié d’en avoir honoré Le Midi Républicain.

La Maçonnerie détestait Taxil, et se débarrassait vaille que vaille d’un farceur encombrant et compromettant. On voulait bien que l’anticléricalisme bénéficiât de ses ignobles publications. Mais on ne tenait pas à en partager les responsabilités. La Maçonnerie d’alors était très bourgeoise : des « notables », dont M. Daniel Halévy a conté la fin, s’y égaraient volontiers. Cela exigeait une certaine respectabilité

taxil, victor hugo et louis blanc

Taxil prétend donner à ses dissentiments avec la Maçonnerie une origine plus noble. À l’entendre, le Grand-Orient lui en aurait voulu de l’action qu’il mena à partir de 1881 pour fédérer les Sociétés de libre pensée en une grande ligue anticléricale. Pareille besogne avait réussi en Italie, avec le concours de l’organisation maçonnique. En France, nous voulions rester indépendants, dit Taxil. Ce n’est évidemment qu’une piètre et insuffisante excuse. Si la Maçonnerie avait adopté Taxil, elle aurait adopté avec lui sa ligue anticléricale.

Une hypothèse favorable à Léo Taxil supposerait une duplicité calculée dans l’attitude de la Maçonnerie à son égard. On voudrait qu’elle eût eu l’air de le mettre dehors pour mieux lui permettre sa manœuvre d’espionnage dans le clan catholique. Mais alors n’eût-il pas été plus intéressant de laisser Taxil claquer les portes, et d’arriver ailleurs fier de son indignation, et non pas exclu ?

La vérité est que, si nous voulons faire voir la Maçonnerie telle qu’elle est, comme l’a demandé Léon XIII, nous devons nous garder de méconnaître ses habiletés, qui sont quelquefois des vertus. Le souci d’une propagande antimaçonnique a souvent empêché ceux qui traitent de la question de voir clair. Quand on observe exactement la Maçonnerie, on est obligé de constater qu’une de ses forces principales est la soigneuse utilisation de ses hommes là où ils peuvent être le mieux placés. Nous sourions de la sottise des vulgaires maçons, mais cette sottise où il faut est le ferment utile. Dans les ateliers supérieurs, et par exemple chez les Très Sages Athirsatas, autant que nous pouvons nous en rendre compte, il y a une réelle sélection d’hommes de valeur. Chose curieuse, tels hauts maçons ne semblent pas utiliser à leur profit leur situation ; soit qu’on ne les élise que parce qu’ils sont désintéressés pour eux-mêmes, soit qu’ils considèrent que leur dignité maçonnique ne peut s’exposer aux désordres de la politique ou des affaires. Oswald Wirth, Albert Lantoine, André Lebey, semblent ainsi vivre dans la tour d’ivoire de leur initiation supérieure. (Si quelque irréfléchi s’avise que cette constatation devrait être évitée parce qu’elle peut être favorable à la Maçonnerie, rappelons-lui que c’est comme s’il voulait se dissimuler la profondeur d’une rivière qu’il lui faut traverser. On ne luttera efficacement contre la Maçonnerie que quand on aura exactement établi ce qui constitue les divers modes d’action de son pouvoir, et c’est là une besogne autrement difficile que de contenter son public et soi-même avec d’agréables balivernes. La vérité qui nous déplaît est tout de même la vérité.)

taxil s’enfonce dans l’ignominie

Après cela, nous voulons bien reconnaître que la Maçonnerie envers Léo Taxil fut ingrate, et que cette ingratitude même fut consciemment ou non habile, puisqu’elle contribua à enfoncer l’inventeur de la Librairie anticléricale dans ses effroyables impostures.

Discuté par les siens, il ne faisait que plus de zèle ; il dépassait les bornes, non pas auprès du grand public qui encaissait tout et dont la sottise ne discutait pas, mais auprès d’une certaine élite républicaine et maçonnique : les fondateurs de la République étaient encore vivants, et ils avaient servi un idéal qui comportait une bonne tenue morale, si erronés que nous en paraissent les principes. Vers 1884, Taxil publiait en livraison à deux sous l’un de ces ignominieux romans sur les papes, avec des illustrations odieusement raccrocheuses. Il n’insultait pas que la religion, la vérité historique, la pudeur : il révoltait le bon sens public, même acharné dans l’esprit de parti. Les injures à un pontife régnant, représenté en France par un ambassadeur, firent annoncer des poursuites judiciaires, cette fois à la requête du Parquet.

Les journaux républicains protestèrent, pour le principe, mais quelques-uns ajoutaient des commentaires désagréables pour Léo Taxil, et regrettaient d’avoir à plaider dans la circonstance la cause d’un personnage infâme.

On a beau avoir la foule pour soi : de telles manifestations de mépris pèsent lourd sur un homme. Taxil y voit la manœuvre de la Maçonnerie ; mais pourquoi la Maçonnerie le haïssait-elle ainsi ? En réalité, Taxil commettait l’erreur commune aux écrivains grossiers : ils croient pouvoir faire fond sur le grand public, qu’ils savent atteindre, et dédaignent l’élite représentant leur opinion. Mais avec le temps, c’est toujours l’élite qui l’emporte. Dans ses campagnes antimaçonniques, Taxil recommencera exactement la même erreur. Il ne s’attachera qu’à amuser la foule, et ne se rendra pas compte que l’élite, dont il se moque, le démasquera.

L’amertume de se sentir lâché et combattu par les journalistes qu’il considérait comme ses amis contribua, nous dit Taxil, à son retour à la foi.

Il faudrait connaître les profondeurs de son âme pour savoir si réellement il fut touché de repentir, ou si, tout simplement le fait de se sentir brûlé le décida à une périlleuse et retentissante volte-face. Nous arrivons à la péripétie cruellement douloureuse et terriblement énigmatique de la conversion de Léo Taxil. Fut-elle sincère, au moins un instant ? Qui sait !

VIII. — Taxil se déclare catholique

Nous nous excusons d’avoir fait traverser au lecteur toutes ces flaques de boue. Il fallait bien que nous montrions de quelle œuvre infâme, entièrement bâtie d’énormités calomniatrices, devait surgir, en 1885, s’humiliant et s’abaissant pour prendre la blanche robe du repenti, le Léo Taxil.

Parce que c’est un être d’iniquités, pourquoi ne se convertirait-il pas ? Du fond d’une pareille boue, ne peut-on ressentir davantage la nostalgie des étoiles ?

Aujourd’hui, il nous semble que pas un instant il ne fut possible de croire qu’un pareil homme, à l’imagination si abjecte et au cœur absent, ait pu se transformer en fils pieux et dévoué de l’Église. Nous croyons que la comédie ne nous eût pas trompé.

Eh bien, songeons que ceux qui eurent à apprécier la conversion de Taxil, pour ne point connaître comme nous la suite de l’histoire, n’accueillirent pas cet anticlérical patenté sans un sentiment d’horreur et sans le mettre à l’épreuve.

Il est trop simple de les traiter de naïfs et de croire qu’ils se laissèrent aisément illusionner.

Comment un grossier manieur d’énormités mystificatrices comme Taxil aurait-il pu duper des prêtres fins et froids, auxquels on était venu déjà raconter d’autres histoires ?

Nous ne nous permettrons pas de juger à quel degré un Taxil put être sincère dans sa conversion, s’il le fut totalement ou pas du tout. Il nous semble qu’une pure comédie, montée de toutes pièces, n’eût que trop difficilement réussi.

Pour l’honneur de la nature humaine, au surplus, il faut souhaiter que Taxil n’ait eu aussi totalement ce caractère d’imposteur infâme.

Son attitude, quand ce lépreux guéri alla se montrer aux prêtres, rien ne l’a fixée. Ceux qui ont eu à l’accueillir, à lui pardonner, ont gardé le silence.

Mais Taxil a écrit, il a signé le témoignage de sa conversion. Nous avons ses Confessions d’un ex-Libre Penseur, et s’il n’y a que farces et attitudes dans ce livre, il faut avouer que Tartufe serait un saint auprès de Taxil ; jamais on n’aurait aussi impudemment menti.