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Page:Rebell - La Nichina, 1897.djvu/72

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claire et se nourrissait de pois cuits à l’eau ou de raves crues, mais le cardinal, soit amour du faste, soit plaisanterie, ordonnait que ce repas d’ermite fût servi à Gennaro dans la même vaisselle précieuse que le gibier et les poissons de choix qui formaient l’ordinaire.

Dès qu’il eut devant lui son misérable dîner, le frère, qui depuis quelques instants mourait de faim, promenait des regards sournois sur les plats et dilatait ses narines au fumet des sauces, se jeta comme un dogue sur les raves et n’en fit qu’une bouchée.

— À ce régime, dit Fasol qui considérait Gennaro d’un air railleur, pitoyable et amusé, le pauvre homme va devenir tout à fait un cadavre.

— Ah ! chuchotait à l’oreille du peintre Monseigneur Benzoni, j’ai trouvé un moyen de le forcer à manger. Il suffit de lui occuper l’esprit assez fortement pour qu’il ne songe plus à mortifier sa faim et à brider ses appétits. C’est alors un avale-royaume. Vous allez voir.

Et il appela devant nous le chef des cuisines, Nicodemo Meliaca, florentin aux lèvres fines et aux regards vifs, chez lequel les soucis de l’art culinaire n’avaient point étouffé l’esprit d’observation.

— Meliaca, fit le cardinal, on m’assure que tu as vécu à Florence, au temps de frère Girolamo. Est-il vrai qu’on y fût si heureux que tout le monde se crût un moment dans le Paradis ? Étais-tu de ce parti des Pleurnichards qui se lamentaient sur les vices du siècle et choisirent le frère pour sauver la vertu, l’invoquant comme un saint et un libérateur ?

Au nom de son maître, Gennaro avait tendu l’oreille.

Meliaca répondit :

— Si persécuter le pauvre monde est un titre à la