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JOURNAL D’UNE DAME CRÉOLE


comme si mes hôtes, dans une inquiétude si cruelle, ne devaient pas m’être indifférents !

L’orage, menaçant tout à l’heure, venait d’éclater. Les coups de tonnerre se succédaient, sourds, lointains, ou par des explosions soudaines, répétées par mille échos, harcelaient l’oreille et terrifiaient comme un fléau imminent, prêt à vous anéantir. Derrière la maison, les montagnes semblaient se rompre et s’écrouler dans des craquements, tandis que des fenêtres de la galerie, nous voyions la mer s’avancer en colonnes noires, hautes et profondes, pareilles à quelque cordillère mouvante, où les lueurs brusques des éclairs révélaient des mondes infinis. Elle crevait en torrents d’écume, qui, tels que des trombes, s’élevaient du rivage et nous semblaient aussi élevés que les pics les plus inaccessibles. Nous nous croyions perdus et ensevelis quand déjà elle se retirait vaincue, hurlante et tonnante de colère, pour accroître encore son effort et renouveler son immense menace.

— Comme à Moïse sur le Sinaï, disait Samuel Goring, les yeux fixés sur les nuages sombres, c’est aux clartés de la foudre que se révèle à nous la loi du Seigneur.

Mais personne ne l’écoutait plus. Mme Du Plantier, tournée contre la muraille, poussait de petits gémissements : Mme de Létang, assise sur le canapé, se cachait la face de ses mains, tandis qu’Agathe, agenouillée, appuyait la tête contre les genoux de sa mère comme si elle devait y trouver abri et sécurité. Seul, l’abbé, les mains croisées derrière le dos, regar-