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JOURNAL D’UNE DAME CRÉOLE


ves ; et votre mère, Agathe, a dû vous le défendre également. Comment avez-vous pu oublier ainsi la modestie qui sied à des jeunes filles ?

— Oh ! madame, s’écriait Agathe, je vous assure, ce n’était pas inconvenant ; il n’y avait que des négresses. On ne nous a pas vues ; nous étions les deux seules blanches.

Elles babillaient toujours lorsque le docteur Chiron qui se montre, partout où il va, plus familier que le parent le plus proche ou l’ami le plus intime, entra sans se faire annoncer, et comme les enfants, à demi-nues, à cause de la chaleur, semblaient fort effarées de cette visite matinale et cherchaient leurs chemises abandonnées pour se couvrir, il eut un geste dédaigneux.

— C’est inutile, mesdemoiselles, dit-il après un brusque salut. À force de voir les maux de l’humanité, je suis devenu insensible à ses grâces.

J’étais indignée de cette rusticité. J’essayai de le lui faire comprendre.

— Comment, docteur ! osez-vous dire…

— C’est la vérité, répliqua-t-il en riant comme s’il ne m’avait pas entendue. Au vrai, j’exerce bien encore, quelquefois, mais c’est par habitude et par hygiène. J’ai, pour cet office un des échantillons les moins attrayants de la race esclave. De la sorte je ne crains pas les égarements de la passion.

Les enfants éclatèrent de rire presque en même temps. Le docteur leur jeta un regard de reproche.

— Oui, mesdemoiselles, reprit-il, j’ai beau avoir les