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LES NUITS CHAUDES DU CAP FRANÇAIS


le sang humain. La bouche extraordinairement lippue, et qui ne sourit jamais, le nez écrasé, retroussé, aux narines larges, ne paraissent avides que de carnage. Le front est si bas qu’il apparaît à peine sous la touffe blanche et fine qui s’élance de ses cheveux, d’ailleurs noirs et laineux. L’œil à fleur de visage, brillant d’un regard fixe, inflexible, sous des sourcils toujours froncés, donnerait à croire que l’existence n’apporte à cet homme que motifs de colère ou de chagrin. Court, trapu, le ventre proéminent, il ressemble, malgré l’étonnante activité de son existence, toujours en éveil et en mouvement, à quelque planteur oisif qui ne quitte le lit que pour la table et le palanquin. Il portait un accoutrement ridicule et prétentieux : un tricorne de visite, l’habit de drap, que personne ne revêt par cette chaleur, et l’épée au côté, qui n’allait guère avec sa chemise ouverte, sa culotte de toile, ses mollets nus et ses énormes souliers.

Il ne cessait de menacer et d’injurier sa femme dans ce créole du port, rempli d’obscénités grossières, et que je n’entends pas toujours. Voici du moins ce que j’ai compris.

— Veux-tu me dire ce qu’il t’a donné ? répétait-il en secouant le bras de Zinga qui se cachait toujours la figure, les coudes levés comme pour prévenir de nouvelles violences.

— J’ai oublié de prendre l’argent, gémit-elle.

— Tu as oublié ! Tu as oublié !

Les yeux du mulâtre s’élargissaient d’étonnement. Il ne pouvait concevoir une telle négligence.