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JOURNAL D’UNE DAME CRÉOLE


n’avaient pas les jarrets en coton ! décampaient si vite entre les champs de cannes, que le vent n’aurait pu les attraper. Ils portaient dans leurs bras des robes gonflées et frétillantes. C’étaient nos demoiselles. J’ai bien reconnu la jupe à pois roses d’Agathe et ses petits pieds chaussés de pantoufles à rubans amarantes, qui battaient l’une après l’autre les côtes de son voleur. C’était elle qui criait. Antoinette, pour son compte, ne remuait pas plus les jambes ni les lèvres qu’une statue. Comme le jardinier et Justin venaient de notre côté, ça nous a donné du courage, nous avons appelé : « À l’aide ! à l’aide ! » et nous nous sommes lancés à la poursuite de ces brigands. L’un des diables, tout fort et tout grand qu’il était, nous voyant à ses trousses, a senti, je crois bien, grouiller ses entrailles. Il a lâché mam’zelle. Paf ! elle est tombée de ses bras comme un paquet. Puis il a pris ses plus belles jambes de dimanche pour rejoindre son compagnon qui était déjà loin, disparu derrière les cannes. Nous sommes allées à mam’zelle qui était évanouie ; et nous l’avons portée dans sa chambre. En voilà-t-il une aventure ! »

Je laissais bavarder Marion et Catherine, sans leur répondre. Dans un autre moment je les aurais battues, mais je ne songeais qu’à Antoinette. Agenouillée devant son lit, j’ouvris son corsage, et je passai sous ses narines un flacon de sels. Elle avait perdu tout sentiment.

— Vite ! vite ! dis-je en secouant par les épaules les brutes insensibles qui m’entouraient. Vite ! vite !