Page:Rebell - Les nuits chaudes du cap français, 1900.djvu/155

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
153
JOURNAL D’UNE DAME CRÉOLE


gâtée plus que de femme sérieuse : tout en acajou avec des crépines dorées et des rubans de soie claire, enveloppé de grands rideaux de mousseline à fleurs roses qui bouffaient au vent comme des voiles. À peine eus-je le temps de le regarder ; les rideaux s’écartèrent et, embarrassée dans sa robe, entraînant les coussins, faisant trébucher un porteur, roula et dégringola vers moi, pattes de satin, cul doré et dentelles aux cheveux, une frétillante petite négresse qui, à peine sur ses jambes, s’avança vers moi avec l’air dégagé et la malice d’une jeune guenon :

Maame Gourgueil ! fit-elle avec un sourire qui écarta et durcit ses lèvres entre les dents brillantes, lorsqu’elle fut tout près de moi.

— Comment, répondis-je, me connais-tu si bien ?

Li vue, li marquée. (Une fois qu’on t’a vue, on ne t’oublie pas).

Et, parlant ainsi, elle tira d’une pochette de sa candale une lettre odorante d’un parfum vif et entêtant. J’en rompis le cachet et j’y lus cette demande singulière :

« Madame,

« Je vous prie d’excuser la liberté d’une simple fille qui, n’étant point de qualité, et n’appartenant même pas à votre race, ne saurait prétendre à entrer en relations avec une dame de votre rang, si des intérêts, qui nous sont communs, ne me pressaient de solliciter humblement mais avec instance, un rendez-vous.