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JOURNAL D’UNE DAME CRÉOLE


passa près de moi, puis un homme trapu qui la rattrapa, et enfin un troisième individu qu’ils devaient chercher à éviter, mais courant plus vite qu’eux parvint à les rejoindre à l’extrémité de la ruelle. Ils eurent ensemble une violente altercation. Les invectives, les injures pleuvaient ; les deux hommes se menaçaient de leurs cannes hautes. La femme, muette et les bras croisés, attendait la fin de la querelle.

— Dieu ! m’écriai-je, mais c’est Zinga, et Figeroux, et Dubousquens. Les misérables ! Voilà comment ils gardent la plantation !

Nous nous étions réfugiés dans une galerie ouverte pour ne pas nous laisser voir. Zinga provoquait Figeroux de sa voix criarde et enfantine, avec des mots aussi grossiers que ceux que l’on entend crier aux portefaix, et un babil gouailleur de gosseline qui sent son derrière protégé. Elle n’employait plus ce langage prétentieux qu’elle avait tenu à Dubousquens, mais un patois ignoble, demi-créole, demi-français, comme si tantôt elle eût voulu n’être comprise que de Figeroux, et tantôt au contraire n’eût parlé que pour Dubousquens, vers qui elle se retournait avec un sourire d’intelligence, chaque fois qu’elle avait lancé au mulâtre une bonne injure.

Elle disait :

Ato li pa guen soumaké. Sa pa arien. (Il n’a pas d’argent, à présent, mais peu importe.) Fe’ai toi cornard si m’amuse !

— Je t’enlèverai la peau de la carcasse, gouapeuse ! répondait Figeroux.