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JOURNAL D’UNE DAME CRÉOLE


mulait un mince rideau, je pouvais aussi entendre tout ce qui se disait à côté.

Je fus bien surprise de reconnaître la voix du docteur Chiron, de M. de Montouroy, de M. Léveillé, un des plus grands négociants de Saint-Domingue, de M. de La Marzelle, le chef de la milice. Un jeune homme disait des vers :

Sur les rameaux voisins, entends, ces tourterelles
  Former leur doux roucoulement ;
De quel air d’amitié s’entrelacent leurs ailes !
  Vois, vois comme leurs becs sont unis tendrement ;
Ah ! que ces jeux, Eglé, nous servent de modèles.

Tout près de nous le négociant Léveillé, replet, sanguin, la voix haute et autoritaire, vint causer avec le docteur Chiron.

— Le meilleur moyen, disait-il, de servir les hommes, n’est pas de s’abandonner aux réflexions philosophiques, mais de chercher à concilier les intérêts de l’humanité et ceux du commerce.

— Dites votre commerce, fit le docteur.

— Je suis un sincère ami des noirs, continua Léveillé, et c’est pourquoi je verrais sans déplaisir une révolte contre leurs oppresseurs.

— Vous seriez enchanté, j’en suis sûr, que quelques incendies des champs de canne et de plantations vous permissent de réaliser un joli gain sur les sucres à Londres et à Amsterdam.

— Vous insultez mon cœur, monsieur, rit Léveillé.

— C’est que j’apprécie votre caisse, continua Chiron.