Page:Reclus - L'Homme et la Terre, tome III, Librairie universelle, 1905.djvu/130

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
112
l’homme et la terre. — inde

les hauteurs par les grandes nations conquérantes des Dravidiens et des Aryens. Une de ces tribus, les Kohi de l’Orissa, a été choisie comme type de tous les congénères, que l’on désigne sous le nom de Kohlariens. Ils parlent des langues agglutinantes, sans autre rapport avec les idiomes des races dominantes que par l’usage de mots qu’on a dû introduire pour des besoins nouveaux, et les ethnologistes qui pénètrent chez eux y trouvent encore de remarquables exemples des temps primitifs.

D’abord l’aspect des villages. En maints endroits, le sentier tortueux ne mène point directement aux groupes des demeures. Surveillé par des tourelles de guet, par des échafaudages sur lesquels se tiennent des sentinelles, il se plie et se recourbe bizarrement, afin que l’ennemi, s’il se présente, soit exposé aux flèches et aux javelots des indigènes : c’est ainsi que, de nos jours encore, le génie militaire fait décrire les lacets les plus extravagants aux routes et chemins de fer qui traversent ou contournent les places fortes. D’ailleurs, pour ces malheureux primitifs, menacés par un incessant danger, le souci majeur, de tous les instants, est celui de la défense ; mais quand l’étranger sans intention mauvaise a franchi les abatis d’arbres, les fourrés de branches épineuses, les chausse-trapes qui gardent l’entrée du village, il est accueilli comme un frère dans la « longue maison » qu’ombrage le multipliant (ficus Indica), le sal (shorea robuta), ou tout autre arbre sacré.

Parmi ces peuplades qui maintiennent si péniblement leur existence distincte au milieu des nations dominantes de l’Inde, il en est, tels les Djangali ou « Broussards » des hautes rivières, les Brahmani et les Baïtarani, qui ne s’étaient pas encore élevés dans l’industrie jusqu’à la fabrication des poteries et des étoffes et ne connaissaient point l’usage du fer[1]. Les vieilles religions animistes et chthoniques dominent encore chez ces populations sauvages, « filles du sol », conscientes d’avoir été les premiers occupants de la contrée et d’en célébrer toujours les anciens rites. Les Kohlariens n’ont point de temples, pas même d’autels rustiques : Ils invoquent les premiers dieux, le soleil, père des hommes, la lune, la mer, les fleuves, les rochers et les arbres, le grand serpent primitif, symbole de la terre, le tigre

  1. Dalton, Ethnology of Bengal.