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l’homme et la terre. — inde

« mer » des nuages, agitée par la tempête ; toutefois, les hymnes anciens, transmis de père en fils, sont trop explicites pour que le sens précis puisse en être douteux. Dans ces documents vénérables, vieux de plus de quarante siècles, il s’agit bien de la samudra caspienne, destinée bientôt à être remplacée, dans l’imagination des Hindous, par la mer bien autrement vaste qui s’étend au sud pour aller rejoindre les grands bassins océaniques.

Lorsque le savant Colebrooke, initié par les brahmanes au commencement du XIXe siècle, eut révélé au monde l’existence de ces hymnes du Rig-veda, dont les éléments premiers remontent peut-être à quatre ou cinq mille années, tous ceux qui s’occupent des origines de l’humanité furent saisis comme par une sorte d’éblouissement. Heureux d’avoir retrouvé des poèmes d’une si haute antiquité, incontestablement les monuments de nos langues aryennes les plus vénérables par l’âge, ils se laissèrent facilement aller à un vertige d’admiration, justifié d’ailleurs par les images grandioses de quelques-uns de ces poèmes. À ce premier sentiment s’ajouta, surtout chez les érudits allemands, une sorte de revendication patriotique. Ils semblaient vouloir accaparer le génie aryen, auquel un des leurs[1] avait donné le nom d’ « indo-germanique » et, se plaisant à découvrir dans les Veda tout ce qu’ils attribuaient de grand à leur propre souche ethnique, ils n’étaient pas éloignés de voir en ces vieux chants des œuvres presque sacrées, des « écritures saintes », comme elles le sont encore pour les brahmanes. Certes le Rig-veda est un des trésors les plus précieux de l’histoire humaine, toutefois, il importe de le juger et d’en étudier le vrai sens, en dehors de tout esprit de race ou de nation.

Pour les commentateurs actuels, il devient évident que ce recueil présente un double caractère : par sa partie la plus ancienne, transmise de bouche en bouche, il appartient encore aux purs Aryens montagnards ; par de nombreuses additions, il date d’une époque où les envahisseurs ayant déjà conquis la plaine avaient profondément modifié leur civilisation première. Tel hymne, adressé à l’aurore, monte d’un superbe élan vers la glorieuse nature qui surgit, graduellement illuminée, des ténèbres de la nuit et, de la vue de l’espace s’élevant à celle du temps, rappelle les aurores qui ne sont plus, évoque celles

  1. Fried, Schlegel, Franz Bopp, Jakob Grimm ? Terme popularisé par Aug. Schleicher, Compendium der vergleichenden Grammatik der indogermanischen Sprachen, 1861.