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l’homme et la terre. — inde

tenir aux enseignements que nous ont transmis les disciples des disciples du Buddha. Car après que la première vénération des enthousiastes eut disparu et que, par la force de gravité, la société remuée dans ses profondeurs eut repris son équilibre, peu différent de celui qui avait précédé la crise, n’était-il pas inévitable que l’interprétation se fît de manière à rendre le sens des événements antérieurs conforme à la contre-révolution qui depuis s’était accomplie ? On nia toute intervention consciente et volontaire de la part du peuple méprisé : on ne voulut pas admettre qu’une atteinte eût été portée par la foule d’en bas aux nobles institutions des castes supérieures, et, par une opération de haute alchimie où se reconnaît bien l’habileté des prêtres, on essaya de donner un sens purement moral et mystique à l’égalité telle que la comprenait Siddhartha. En un discours des interprètes, la révolution prend un caractère strictement spirituel : « De même que les grands fleuves, si nombreux qu’ils soient, la Gangâ, la Djamna, l’Aciravati, la Sarabhù, la Mahî perdent leurs anciens noms quand ils entrent dans l’océan et n’ont d’autre appellation que celle de « Vaste mer », de même, ô disciples, ces quatre castes, les nobles et les brahmanes, les Vaiçya et les Sudra perdent le nom et la race quand, se conformant à la doctrine et à la loi proclamée par le Buddha, elles renoncent à la patrie et se détachent de la terre ».

Par une subtilisation analogue de tout ce qui se rapporte à l’inégalité sociale, à la pauvreté, à la maladie, les commentateurs bouddhistes n’ont vu dans les « quatre devoirs » de l’enseignement initial que des devoirs purement moraux, tandis que le sens naturel de cette énumération paraît bien s’être rapporté à ce qu’on appellerait de nos jours la « question sociale ». Ces quatre devoirs sont de « connaître la souffrance, d’en étudier les causes, d’en vouloir la suppression et d’en trouver le remède ».

Autre chose. L’équilibre moral entraînant la suppression de tout désir détourna facilement l’enseignement bouddhique vers le pessimisme, vers la mort volontaire et la suppression de la famille. « L’ascète Gautama est venu, dit un commentaire, pour amener le manque d’enfants, le veuvage, la fin des générations »[1]. L’humanité même eût été condamnée à mort. Il résultait de cette tendance, dérivée du boud-

  1. Max Schreiber, Buddha und die Frauen.