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l’homme et la terre. — inde

encore. Cette terre est la province de Behar. C’est par le renoncement aux luttes du monde que des milliers d’hommes pensaient atteindre cet équilibre du Nirvana que le Buddha voulait obtenir par le continuel et triomphant effort. Pour les faibles, il semble en effet si naturel de se soustraire au combat de la vie, duquel on sort toujours, sinon vaincu, du moins meurtri, il semble si naturel de se confiner dans sa mélancolie, dans la tristesse des choses, ou bien dans la satisfaction de sa propre justice. Désormais on vivra dans sa retraite, au milieu des arbres et des fleurs, en jetant sur le vaste monde un regard désabusé, en se faisant une harmonie nouvelle des choses par l’évocation solitaire. Ou bien on cherchera le repos sans fin de la pensée, mais sans s’exposer à la mise en scène, au drame du suicide, qui demande déjà une certaine activité : on se laissera mourir. Ce renoncement du ci-devant révolutionnaire n’est-il pas une trahison, aussi bien que celle de l’homme retors se rangeant parmi les satisfaits ?

Et puis, la haine des ennemis directs fit le reste pour la destruction du bouddhisme. Les privilégiés de la race, de la naissance, de la fortune qui ne voulaient pas frayer avec la tourbe des Sudra et des Tchandala, avec les « chiens » et les « pourceaux », ne pouvaient tolérer les idées nouvelles d’égalité. Mais tout d’abord on s’empressa de concéder aux disciples la glorification de l’apôtre, dès qu’il eut disparu et qu’on n’eut plus à craindre de le voir accomplir son œuvre. On le transforma en un personnage plus que divin, on en fit un « Buddha » c’est-à-dire « éveillé », « éclairé », « sage ». On prétendit qu’il était la neuvième incarnation de Vichnu, l’une des divinités suprêmes ; tous les actes de sa vie furent autant de miracles, ses paroles se figèrent en dogmes, et tout un monde de prêtres naquit pour codifier sa doctrine et pour reconstituer les instructions du passé sous de nouvelles appellations. Aussi voyons-nous le bouddhisme se fondre graduellement dans l’ancien brahmanisme, même quand il triomphe en apparence.

Car il eut en effet un moment de triomphe officiel, trois cents ans après la date probable de la naissance de Çâkya-Muni ; de même que plus tard, et par un mouvement parallèle, l’empereur Constantin devait tuer le christianisme en l’inaugurant comme religion d’État, de même un roi de Behar, Açoka, donna le caractère officiel au culte