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l’homme et la terre. — chrétiens

et les autres, rejetés comme « apocryphes », bien que de valeur sensiblement égale quant à l’authenticité des faits que racontent ces livres[1] ; le Nouveau Testament est clos. Ayant arrêté l’émission de la « parole divine », l’autorité ecclésiastique n’a plus qu’à en fixer le sens, à en expliquer les passages obscurs, à en concilier les contradictions. Dans le tourbillon des commentaires, dans le conflit des opinions qui ont été successivement présentées et qui s’entre-heurtent de part et d’autre, il s’agit de choisir ce qui sera l’orthodoxie et ce qui sera l’erreur. Du moins pourra-t-on créer l’apparence de l’unanimité et cacher les divergences sous des phrases sacramentelles et convenues.

L’unité de foi avait été proclamée. « Un seul Dieu en trois personnes » ! Tel était le dogme : mais la vérité est que les anciens cultes locaux se maintinrent sous des noms différents et avec les modifications indispensables rendues nécessaires par le changement du milieu. Les rites changèrent quelque peu, certaines cérémonies tombèrent en désuétude, tandis que d’autres, importées ou formées sur place, finirent par l’emporter ; çà et là, des révolutions brusques se produisirent à la suite d’invasions, de migrations, de guerres civiles, mais dans l’ensemble il y eut transition graduelle d’un culte à l’autre culte. Nombre de saints, tels saint Hermès ou saint Éleuthère, furent créés par la simple introduction des appellations d’anciennes divinités dans le rituel de l’Église. Les trois personnes de la Trinité, dont il était absolument impossible à l’esprit humain d’accepter la définition théorique les représentant comme de purs esprits, égaux en puissance, également infinis dans le temps et dans l’espace, prirent une réalité tangible aux yeux des fidèles, de manière à se superposer aux grands dieux d’autrefois. Ici, Dieu le Père remplaçait Jupiter ; là, Dieu le Fils succédait à Mithra, à Bacchus, à Phœbus Apollon ; quant au Saint-Esprit, il était par définition d’essence trop subtile pour se concrétiser en un dieu populaire. Et si le culte de la Vierge prit une telle importance dans la religion catholique, si Marie, la « Mère de Dieu », finit même par constituer le quatrième terme de l’être multiple et un, bien que tous les récits miraculeux à elle attribués dans les Évangiles apocryphes eussent été rejetés du canon des Écritures dans les premiers temps de l’Église[2], si même, en certaines régions de la chré-

  1. G. Lejeal, Humanité nouvelle, février 1898.
  2. Gaston Boissier, La Fin du Paganisme, t. II, p. 11.