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l’homme et la terre. — chrétiens

sachant s’il avait avec lui l’élément le plus fort. Comme par un phénomène de mécanique et sous l’empire de lois analogues, les deux formes religieuses, paganisme et christianisme, en conflit l’une avec l’autre, se trouvèrent pendant une certaine période en état d’équilibre, et de subtils politiciens, tels que Constantin, pouvaient se demander avec hésitation laquelle des deux finirait par triompher. C’est alors que, par crainte de l’avenir, on en vint, de part et d’autre, à demander pour tous les croyants pleine liberté de pensée et de foi. L’idée de tolérance germa dans quelques esprits prudents, et l’on entendit jusqu’à des empereurs prononcer des paroles qui sont vrais propos d’anarchistes : « Personne n’en doit gêner un autre, et chacun doit faire comme il l’entend ». Ainsi s’exprimait Constantin lorsqu’il avait déjà vaincu les païens par le symbole de la croix, mais en pleine connaissance de la puissante force d’inertie qui restait à ses adversaires.

Lorsque son pouvoir fut enfin consolidé, il prit bien soin d’être en même temps le grand maître des deux religions ennemies, comme un souverain moderne duquel prêtres, pasteurs et rabbins dépendent administrativement les uns comme les autres et lui doivent au même titre prières, bénédictions et actions de grâce. Constantin sut tenir en balance les craintes, les espérances et les rivalités jalouses de ses sujets païens et chrétiens, conservateurs et novateurs. Ainsi, dans la même année, il publia deux édits dont l’un ordonnait la célébration du dimanche, tandis que l’autre recommandait la consultation régulière des auspices. Et le dimanche se trouvait être en même temps le « jour du Seigneur » et le « jour du soleil », Dies solis, sunday. Constantin éleva des églises, mais, avec une générosité pareille, il reconstruisait et enrichissait les temples. Il faisait frapper des médailles en l’honneur de Jupiter et d’Apollon, de Mars et d’Hercule et ne négligea point son devoir de fils reconnaissant qui lui ordonnait de faire monter son père Constance au rang des dieux.

Il ne s’agissait donc que d’établir l’alliance entre le trône et l’autel : mais quand le christianisme devint la religion vraiment dominante et que l’observance de l’ancienne foi fut presque un acte de révolte, quand les souverains crurent pouvoir disposer de la force sans ménagement aucun, ils tinrent le langage qui leur était dicté par les saints docteurs de l’Église : « Déracinez de la terre celui qui sacrifie aux dieux. Il est défendu d’avoir aucune pitié pour lui : il faut le lapider, le mettre à