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l’homme et la terre. — barbares

pénétrait, s’associant à tous leurs actes. Mais ce genre de vie développait nécessairement chez eux l’esprit d’autorité et de violence. L’homme était le maître absolu de femme, enfants, serviteurs, et, dans la guerre du moins, il devait obéir strictement à un chef ayant également sur lui droit de vie et de mort.

L’acte d’adoption des enfants chez les Germains caractérisait d’une manière saisissante le stade de civilisation qu’ils avaient atteint. Au fond, le droit germanique était le même que le droit romain et les mêmes raisons lui avaient donné naissance. Le père, n’étant pas assuré de pouvoir nourrir sa progéniture, s’était réservé le droit de ne pas l’accueillir au nombre des vivants quand la mère venait de lui donner le jour. Mais si l’acte était identique chez les deux nations, il était accompagné de formes différentes, provenant de ce que les hommes du nord, non encore « urbanisés », vivaient plus intimement dans la nature et se voyaient constamment entourés de génies et d’êtres mystérieux qu’il fallait prendre à témoin. Suivant les tribus, l’enfant avait droit à la vie dès qu’il avait touché de ses lèvres du miel ou du lait, dès qu’une goutte d’eau avait purifié son corps, qu’il avait lancé son cri aux quatre parois de la hutte ou regardé la poutre du toit[1] : aux coins de l’abri, des oreilles étaient inclinées vers lui pour entendre ses vagissements. Toutefois, l’enfant n’entrait dans le monde des hommes que par une adoption formelle, lorsque le père, l’ayant soulevé dans ses bras, lui donnait un nom, lui insufflait, pour ainsi dire, une âme. Après l’accomplissement de cette pratique, la vie du fils ou de la fille était sauve et le droit de meurtre ou d’abandon chez le père ne reparaissait que dans les temps de misère extrême. Mais à l’égard de l’esclave et de sa progéniture, tout était permis. Quand un affranchi mourait sans ressources, ses enfants étaient enfermés dans une caverne et le ci-devant maître n’était tenu de sauver qu’une seule existence, celle du plus résistant : « la survivance du plus apte », telle était la devise, deux mille ans avant Darwin.

En exemple des anciennes mœurs, on doit citer celles des Hérules, le plus « conservateur » de tous les peuples Germains par ses coutumes, le type représentatif des autres « barbares » avant l’époque où on les voit entrer dans la lumière de l’histoire. Origi-

  1. Grimm, Rechtsalterthümer.