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mœurs des germains

naires des rives méridionales de la Baltique, les Hérules étaient restés longtemps enfermés dans leur domaine, coupé de fleuves, de lacs et de marais. Lorsqu’ils furent admis dans l’empire d’Orient par Anastase, au commencement du VIe siècle, comme alliés et mercenaires, ils pratiquaient encore leurs cérémonies païennes : seuls, parmi les Germains invités à la défense de l’Empire, ils n’étaient pas, au moins nominalement, convertis à la foi chrétienne. Procope les considère comme tout à fait différents des autres hommes à cause de l’habitude qu’ils avaient de tuer leurs vieillards et leurs malades. Dès qu’un de ceux-ci était devenu tout à fait invalide, ses amis et parents dressaient un grand bûcher, au sommet duquel ils plaçaient la victime, que l’un des Hérules présents, étranger à la famille, frappait d’un coup de poignard, puis on mettait le feu au bois amoncelé. Mais ce rite n’est-il pas, sous une forme un peu différente, celui que pratiquaient aussi les Mamertins, les Juifs, les Scandinaves[1], et qui naguère se perpétuait encore chez les Tchuktchis des rivages de l’océan arctique ? Chez les Hérules, nation guerrière par excellence, le manque de ressources alimentaires, qui avait été certainement la première raison du meurtre charitable des infirmes, n’était plus invoqué comme la justification du sacrifice : c’était pour plaire aux dieux, pour racheter par sa mort la vie des jeunes qu’il fallait mourir. S’éteindre de mort naturelle était tenu chez le guerrier pour un acte non seulement honteux, mais encore antisocial. De même la femme qui ne serait pas montée sur le bûcher du mari pour le suivre dans l’au delà aurait vécu déshonorée.

La mythologie des Scandinaves, qui se rapprochait de celle des Germains et que revendique même l’épopée de Wagner comme le trésor national par excellence, montre aussi quel fut le genre de vie de ces populations. Quelle que soit l’origine première d’Odin, les terribles bataillons qu’étaient les chasseurs et pirates du Nord le transformèrent à leur image. D’abord le forgeron de l’acier devint le dieu des maîtres, des nobles et chefs d’armée, tandis que Thor, divinité plus ancienne, considéré dorénavant comme fils d’Odin, continuait de garder sous sa protection les classes inférieures des esclaves. Si brutal qu’il fût, Thor, le dieu du marteau, était un maître pacifique en com-

  1. H. M. Chadwick, The Cult of Othin.