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l’homme et la terre. — barbares

Périgord, Auvergne et Cévennes : le département qui à cet égard se trouve au premier rang est celui de l’Ardèche (30,5 pour cent), suivi par Creuse, Loire et Vendée. Ces régions sont, nous l’avons dit, celles dont la vieille population d’origine pré-romaine et pré-germanique représente le fonds conservateur par excellence de la nation : les saints patrons ne sont autres que les anciens dieux baptisés par l’Église.

Sur les frontières du nord-est et de l’est, qui subirent fortement l’influence de leurs immigrants germaniques, et le long de la chaîne des Pyrénées, les noms de saints ne se trouvent que dans la proportion du vingtième au quarantième pour toute la série des communes, les départements les plus pauvres étant la Haute-Marne et les Hautes-Pyrénées (3,5 pour cent)[1].

On comprend donc combien l’unité apparente de la religion chrétienne dans l’ensemble des États qui remplaçaient l’empire devait correspondre à une grande diversité réelle des cultes : chaque province, chaque cité gardait ses dieux, presque toujours déguisés sous des noms nouveaux, ou du moins modifiés par une orthographe nouvelle. De même les mythes n’eurent qu’à s’habiller de vêtements différents. Jésus-Christ nous apparaît en Orient comme un autre Mithra, comme un autre Thor en Scandinavie. L’arbre de Noël, qui symbolise l’universelle espérance du printemps à travers les neiges de l’hiver et qui dut en conséquence être consacré aux dieux païens représentant les forces victorieuses de la nature, figure maintenant, dans les fêtes juvéniles, la renaissance de l’année, en même temps que la « nativité » de Jésus dans son étable, entre l’âne et le bœuf, les deux aides et amis du laboureur pauvre. Les légendes par lesquelles les mystiques chrétiens cherchent à élever leurs âmes vers de hautes conceptions sont aussi pour la plupart d’origine païenne, bien antérieure au sacrifice du Golgotha. La coupe du Saint-Graal contenant les précieuses gouttes de sang divin fut recherchée avec la même ardeur par les guerriers celtiques de Galles et de la Bretagne qu’elle le fut plus tard par les chevaliers chrétiens de l’idéal : le pergedour de Taliesin est devenu le Parsifal de Wagner[2]. Autour du clocher sous lequel on prie, les danses lupercales signifient que les dieux n’ont cédé au Christ que la moitié de leur royaume[3].

  1. P. Joanne, Dictionnaire statistique et administratif de la Prance, article Saint.
  2. A. von Ziegesar, Der heidnische Untergrund der Gralsage.
  3. Remy de Gourmont, Revue Blanche, 1er avril 1898, p. 488.