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l’homme et la terre. — orient chinois

blement située comme vomitoire de toutes les terres de pâture dans l’intérieur du continent, que les grands fleuves d’hommes entraînés en migrations guerrières vers les territoires fertiles étaient forcément poussés par cette issue comme l’avait été jadis le courant des eaux de la mer de Han-haï. Nulle région n’eut plus d’importance que cette brèche des monts dans les flux et les reflux humains oscillant sur le monde. On voit le contraste de cette large et double ouverture, laissant passer à l’aise des nations entières, et les vertigineux sentiers des Pamir où s’aventuraient de rares marchands ou missionnaires. Ici la civilisation s’infiltrait par étroits filets ou goutte à goutte ; là les grands événements se préparaient avec fracas.


Toutes ces voies extérieures à la Chine proprement dite, comprises sous les noms de Tian-chañ-nan-lu et de Tian-chañ-pe-lu, de Routes de la soie et du jade, et même celle du Tibet ont pour lieu de convergence la région où le fleuve « Jaune », le cours d’eau chinois par excellence, échappe aux vallées des grandes Alpes pour entrer dans les contrées à pentes modérées et à larges campagnes qui sont devenues la Chine historique. La porte intérieure de l’ « Empire du Milieu » qu’utilisèrent les marchands depuis une époque immémoriale présente la disposition bizarre d’un long couloir facile à suivre en temps de paix, mais qu’il serait également aisé de barrer en temps de guerre. Le chemin borde en cet endroit la base septentrionale du Nan-chañ, branchement du Kuen-lun, tandis que, du côté du nord, des steppes inhospitalières, des monticules de sable, des marais rétrécissent la zone de culture des villes et des villages où s’est établie toute la population résidante. La limite désertique qui borde au nord la lisière verdoyante a été renforcée artificiellement par le mur d’argile qui, dans ces régions de la Chine, prolonge la « Grande muraille ». Là se trouve le bastion le plus avancé de l’énorme citadelle qui devait constituer l’empire dans la pensée de Chi-hoang-ti et de ses successeurs.

C’est là que la Chine présente en effet son bassin de réception naturel pour tous les éléments qui lui viennent de l’Occident, c’est-à-dire de l’Asie antérieure et de l’Europe, par-dessus le seuil de partage de l’Ancien Monde. Nul point vital n’est mieux indiqué dans l’économie générale de la Terre : c’est bien en cet endroit qu’a dû s’accom-